Autour de la Lune by Jules Verne (the giving tree read aloud .txt) 📖
- Author: Jules Verne
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La montagne ignivome devait �tre situ�e environ sur le quarante-cinqui�me degr� de latitude sud de la partie invisible du disque. Mais, au grand d�plaisir de Barbicane, la courbe que d�crivait le projectile l'entra�nait loin du point signal� par l'�ruption. Il ne put donc en d�terminer plus exactement la nature. Une demi-heure apr�s avoir �t� signal�, ce point lumineux disparaissait derri�re le sombre horizon. Cependant la constatation de ce ph�nom�ne �tait un fait consid�rable dans les �tudes s�l�nographiques. Il prouvait que toute chaleur n'avait pas encore disparu des entrailles de ce globe, et l� o� la chaleur existe, qui peut affirmer que le r�gne v�g�tal, que le r�gne animal lui-m�me, n'ont pas r�sist� jusqu'ici aux influences destructives? L'existence de ce volcan en �ruption, indiscutablement reconnue des savants de la Terre, aurait amen� sans doute bien des th�ories favorables � cette grave question de l'habitabilit� de la Lune.
Barbicane se laissait entra�ner par ses r�flexions. Il s'oubliait dans une muette r�verie o� s'agitaient les myst�rieuses destin�es du monde lunaire. Il cherchait � relier entre eux les faits observ�s jusqu'alors, quand un incident nouveau le rappela brusquement � la r�alit�.
Cet incident, c'�tait plus qu'un ph�nom�ne cosmique, c'�tait un danger mena�ant dont les cons�quences pouvaient �tre d�sastreuses.
Soudain, au milieu de l'�ther, dans ces t�n�bres profondes, une masse �norme avait apparu. C'�tait comme une Lune, mais une Lune incandescente, et d'un �clat d'autant plus insoutenable qu'il tranchait nettement sur l'obscurit� brutale de l'espace. Cette masse, de forme circulaire, jetait une lumi�re telle qu'elle emplissait le projectile. La figure de Barbicane, de Nicholl, de Michel Ardan, violemment baign�e dans ces nappes blanches, prenait cette apparence spectrale, livide, blafarde, que les physiciens produisent avec la lumi�re factice de l'alcool impr�gn� de sel.
�Mille diables! s'�cria Michel Ardan, mais nous sommes hideux! Qu'est-ce que cette Lune malencontreuse?
—Un bolide, r�pondit Barbicane.
—Un bolide enflamm�, dans le vide?
—Oui.�
Ce globe de feu �tait un bolide, en effet. Barbicane ne se trompait pas. Mais si ces m�t�ores cosmiques observ�s de la Terre ne pr�sentent g�n�ralement qu'une lumi�re un peu inf�rieure � celle de la Lune, ici, dans ce sombre �ther, ils resplendissaient. Ces corps errants portent en eux-m�mes le principe de leur incandescence. L'air ambiant n'est pas n�cessaire � leur d�flagration. Et, en effet, si certains de ces bolides traversent les couches atmosph�riques � deux ou trois lieues de la Terre, d'autres, au contraire, d�crivent leur trajectoire � une distance o� l'atmosph�re ne saurait s'�tendre. Tels ces bolides, l'un du 27 octobre 1844, apparu � une hauteur de cent vingt-huit lieues, l'autre du 18 ao�t 1841, disparu � une distance de cent quatre-vingt-deux lieues. Quelques-uns de ces m�t�ores ont de trois � quatre kilom�tres de largeur et poss�dent une vitesse qui peut aller jusqu'� soixante-quinze kilom�tres par seconde,[La vitesse moyenne du mouvement de la Terre, le long de l'�cliptique, n'est que de 30 kilom�tres � la seconde.] suivant une direction inverse du mouvement de la Terre.
Ce globe filant, soudainement apparu dans l'ombre � une distance de cent lieues au moins, devait, suivant l'estime de Barbicane, mesurer un diam�tre de deux mille m�tres. Il s'avan�ait avec une vitesse de deux kilom�tres � la seconde environ, soit trente lieues par minute. Il coupait la route du projectile et devait l'atteindre en quelques minutes. En s'approchant, il grossissait dans une proportion �norme.
Que l'on s'imagine, si l'on peut, la situation des voyageurs. Il est impossible de la d�crire. Malgr� leur courage, leur sang-froid, leur insouciance devant le danger, ils �taient muets, immobiles, les membres crisp�s, en proie � un effarement farouche. Leur projectile, dont ils ne pouvaient d�vier la marche, courait droit sur cette masse ign�e, plus intense que la gueule ouverte d'un four � r�verb�re. Il semblait se pr�cipiter vers un ab�me de feu.
Barbicane avait saisi la main de ses deux compagnons, et tous trois regardaient � travers leurs paupi�res � demi ferm�es cet ast�ro�de chauff� � blanc. Si la pens�e n'�tait pas d�truite en eux, si leur cerveau fonctionnait encore au milieu de son �pouvante, ils devaient se croire perdus!
Deux minutes apr�s la brusque apparition du bolide, deux si�cles d'angoisses! le projectile semblait pr�t � le heurter, quand le globe de feu �clata comme une bombe, mais sans faire aucun bruit au milieu de ce vide o� le son, qui n'est qu'une agitation des couches d'air, ne pouvait se produire.
Nicholl avait pouss� un cri. Ses compagnons et lui s'�taient pr�cipit�s � la vitre des hublots. Quel spectacle! Quelle plume saurait le rendre, quelle palette serait assez riche en couleurs pour en reproduire la magnificence?
C'�tait comme l'�panouissement d'un crat�re, comme l'�parpillement d'un immense incendie. Des milliers de fragments lumineux allumaient et rayaient l'espace de leurs feux. Toutes les grosseurs, toutes les couleurs, toutes s'y m�laient. C'�taient des irradiations jaunes, jaun�tres, rouges, vertes, grises, une couronne d'artifices multicolores. Du globe �norme et redoutable, il ne restait plus rien que ces morceaux emport�s dans toutes les directions, devenus ast�ro�des � leur tour, ceux-ci flamboyants comme une �p�e, ceux-l� entour�s d'un nuage blanch�tre, d'autres laissant apr�s eux des tra�n�es �clatantes de poussi�re cosmique.
Ces blocs incandescents s'entrecroisaient, s'entrechoquaient, s'�parpillaient en fragments plus petits, dont quelques-uns heurt�rent le projectile. Sa vitre de gauche fut m�me fendue par un choc violent. Il semblait flotter au milieu d'une gr�le d'obus dont le moindre pouvait l'an�antir en un instant.
La lumi�re qui saturait l'�ther se d�veloppait avec une incomparable intensit�, car ces ast�ro�des la dispersaient en tous sens. A un certain moment, elle fut tellement vive, que Michel, entra�nant vers sa vitre Barbicane et Nicholl, s'�cria:
�L'invisible Lune, visible enfin!�
Et tous trois, � travers un effluve lumineux de quelques secondes, entrevirent ce disque myst�rieux que l'œil de l'homme apercevait pour la premi�re fois.
Que distingu�rent-ils � cette distance qu'ils ne pouvaient �valuer? Quelques bandes allong�es sur le disque, de v�ritables nuages form�s dans un milieu atmosph�rique tr�s restreint, duquel �mergeaient non seulement toutes les montagnes, mais aussi les reliefs de m�diocre importance, ces cirques, ces crat�res b�ants capricieusement dispos�s, tels qu'ils existent � la surface visible. Puis des espaces immenses, non plus des plaines arides, mais des mers v�ritables, des oc�ans largement distribu�s, qui r�fl�chissaient sur leur miroir liquide toute cette magie �blouissante des feux de l'espace. Enfin, � la surface des continents, de vastes masses sombres, telles qu'appara�traient des for�ts immenses sous la rapide illumination d'un �clair...
�tait-ce une illusion, une erreur des yeux, une tromperie de l'optique? Pouvaient-ils donner une affirmation scientifique � cette observation si superficiellement obtenue? Oseraient-ils se prononcer sur la question de son habitabilit�, apr�s un si faible aper�u du disque invisible?
Cependant les fulgurations de l'espace s'affaiblirent peu � peu; son �clat accidentel s'amoindrit; les ast�ro�des s'enfuirent par des trajectoires diverses et s'�teignirent dans l'�loignement. L'�ther reprit enfin son habituelle t�n�brosit�; les �toiles, un moment �clips�es, �tincel�rent au firmament, et le disque, � peine entrevu, se perdit de nouveau dans l'imp�n�trable nuit.
XVIL'h�misph�re m�ridional
Le projectile venait d'�chapper � un danger terrible, danger bien impr�vu. Qui e�t imagin� une telle rencontre de bolides? Ces corps errants pouvaient susciter aux voyageurs de s�rieux p�rils. C'�taient pour eux autant d'�cueils sem�s sur cette mer �th�r�e, que, moins heureux que les navigateurs, ils ne pouvaient fuir. Mais se plaignaient-ils, ces aventuriers de l'espace? Non, puisque la nature leur avait donn� ce splendide spectacle d'un m�t�ore cosmique �clatant par une expansion formidable, puisque cet incomparable feu d'artifice, qu'aucun Ruggieri ne saurait imiter, avait �clair� pendant quelques secondes le nimbe invisible de la Lune. Dans cette rapide �claircie, des continents, des mers, des for�ts leur �taient apparus. L'atmosph�re apportait donc � cette face inconnue ses mol�cules vivifiantes? Questions encore insolubles, �ternellement pos�es devant la curiosit� humaine!
Il �tait alors trois heures et demie du soir. Le boulet suivait sa direction curviligne autour de la Lune. Sa trajectoire avait-elle �t� encore une fois modifi�e par le m�t�ore? On pouvait le craindre. Le projectile devait, cependant, d�crire une courbe imperturbablement d�termin�e par les lois de la m�canique rationnelle. Barbicane inclinait � croire que cette courbe serait plut�t une parabole qu'une hyperbole. Cependant, cette parabole admise, le boulet aurait d� sortir assez rapidement du c�ne d'ombre projet� dans l'espace � l'oppos� du Soleil. Ce c�ne, en effet, est fort �troit, tant le diam�tre angulaire de la Lune est petit, si on le compare au diam�tre de l'astre du jour. Or, jusqu'ici, le projectile flottait dans cette ombre profonde. Quelle qu'e�t �t� sa vitesse—et elle n'avait pu �tre m�diocre—sa p�riode d'occultation continuait. Cela �tait un fait �vident, mais peut-�tre cela n'aurait-il pas d� �tre dans le cas suppos� d'une trajectoire rigoureusement parabolique. Nouveau probl�me qui tourmentait le cerveau de Barbicane, v�ritablement emprisonn� dans un cercle d'inconnues qu'il ne pouvait d�gager.
Aucun des voyageurs ne pensait � prendre un instant de repos. Chacun guettait quelque fait inattendu qui e�t jet� une lueur nouvelle sur les �tudes uranographiques. Vers cinq heures, Michel Ardan distribua, sous le nom de d�ner, quelques morceaux de pain et de viande froide, qui furent rapidement absorb�s, sans que personne e�t abandonn� son hublot, dont la vitre s'encro�tait incessamment sous la condensation des vapeurs.
Vers cinq heures quarante-cinq minutes du soir, Nicholl, arm� de sa lunette, signala vers le bord m�ridional de la Lune et dans la direction suivie par le projectile quelques points �clatants qui se d�coupaient sur le sombre �cran du ciel. On e�t dit une succession de pitons aigus, se profilant comme une ligne trembl�e. Ils s'�clairaient assez vivement. Tel appara�t le lin�ament terminal de la Lune, lorsqu'elle se pr�sente dans l'un de ses octants.
On ne pouvait s'y tromper. Il ne s'agissait plus d'un simple m�t�ore, dont cette ar�te lumineuse n'avait ni la couleur ni la mobilit�. Pas davantage, d'un volcan en �ruption. Aussi Barbicane n'h�sita-t-il pas � se prononcer.
�Le Soleil! s'�cria-t-il.
—Quoi! le Soleil! r�pondirent Nicholl et Michel Ardan.
—Oui, mes amis, c'est l'astre radieux lui-m�me qui �claire le sommet de ces montagnes situ�es sur le bord m�ridional de la Lune. Nous approchons �videmment du p�le sud!
—Apr�s avoir pass� par le p�le nord, r�pondit Michel. Nous avons donc fait le tour de notre satellite!
—Oui, mon brave Michel.
—Alors, plus d'hyperboles, plus de paraboles, plus de courbes ouvertes � craindre!
—Non, mais une courbe ferm�e.
—Qui s'appelle?
—Une ellipse. Au lieu d'aller se perdre dans les espaces interplan�taires, il est probable que le projectile va d�crire un orbe elliptique autour de la Lune.
—En v�rit�!
—Et qu'il en deviendra le satellite.
—Lune de Lune! s'�cria Michel Ardan.
—Seulement, je te ferai observer, mon digne ami, r�pliqua Barbicane, que nous n'en serons pas moins perdus pour cela!
—Oui, mais d'une autre mani�re, et bien autrement plaisante!� r�pondit l'insouciant Fran�ais avec son plus aimable sourire.
Le pr�sident Barbicane avait raison. En d�crivant cet orbe elliptique, le projectile allait sans doute graviter �ternellement autour de la Lune, comme un sous-satellite. C'�tait un nouvel astre ajout� au monde solaire, un microcosme peupl� de trois habitants—que le d�faut d'air tuerait avant peu. Barbicane ne pouvait donc se r�jouir de cette situation d�finitive, impos�e au boulet par la double influence des forces centrip�te et centrifuge. Ses compagnons et lui allaient revoir la face �clair�e du disque lunaire. Peut-�tre m�me leur existence se prolongerait-elle assez pour qu'ils aper�ussent une derni�re fois la Pleine-Terre superbement �clair�e par les rayons du Soleil! Peut-�tre pourraient-ils jeter un dernier adieu � ce globe qu'ils ne devaient plus revoir! Puis, leur projectile ne serait plus qu'une masse �teinte, morte, semblable � ces inertes ast�ro�des qui circulent dans l'�ther. Une seule consolation pour eux, c'�tait de quitter enfin ces insondables t�n�bres, c'�tait de revenir � la lumi�re, c'�tait de rentrer dans les zones baign�es par l'irradiation solaire!
Cependant les montagnes, reconnues par Barbicane, se d�gageaient de plus en plus de la masse sombre. C'�taient les monts Doerfel et Leibnitz qui h�rissent au sud la r�gion circompolaire de la Lune.
Toutes les montagnes de l'h�misph�re visible ont �t� mesur�es avec une parfaite exactitude. On s'�tonnera peut-�tre de cette perfection, et cependant, ces m�thodes hypsom�triques sont rigoureuses. On peut m�me affirmer que l'altitude des montagnes de la Lune n'est pas moins exactement d�termin�e que celle des montagnes de la Terre.
La m�thode le plus g�n�ralement employ�e est celle qui mesure l'ombre port�e par les montagnes, en tenant compte de la hauteur du Soleil au moment de l'observation. Cette mesure s'obtient facilement au moyen d'une lunette pourvue d'un r�ticule � deux fils parall�les, �tant admis que le diam�tre r�el du disque lunaire est exactement connu. Cette m�thode permet �galement de calculer la profondeur des crat�res et des cavit�s de la Lune. Galil�e en fit usage, et depuis, MM. Beer et Moedler l'ont employ�e avec le plus grand succ�s.
Une autre m�thode, dite des rayons tangents, peut �tre aussi appliqu�e � la mesure des reliefs lunaires. On l'applique au moment o� les montagnes forment des points lumineux d�tach�s de la ligne de s�paration d'ombre et de lumi�re, qui brillent sur la partie obscure du disque. Ces points lumineux sont produits par les rayons solaires sup�rieurs � ceux qui d�terminent la limite de la phase. Donc, la mesure de l'intervalle obscur que laissent entre eux le point lumineux et la partie lumineuse de la phase la plus rapproch�e donnent exactement la hauteur de ce point. Mais, on le comprend, ce proc�d� ne peut �tre appliqu� qu'aux montagnes qui avoisinent la ligne de s�paration d'ombre et de lumi�re.
Une troisi�me m�thode consisterait � mesurer le profil des
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