De la terre à la lune, trajet direct en 97 heures 20 minutes by Jules Verne (inspirational books for students txt) 📖
- Author: Jules Verne
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—Il nous recevra mal, murmura Bilsby entre les quatre dents qu'il avait sauv�es de la bataille.
—Par ma foi, s'�cria J.-T. Maston, aux prochaines �lections il n'a que faire de compter sur ma voix!
—Ni sur les n�tres, r�pondirent d'un commun accord ces belliqueux invalides.
—En attendant, reprit J.-T. Maston, et pour conclure, si l'on ne me fournit pas l'occasion d'essayer mon nouveau mortier sur un vrai champ de bataille, je donne ma d�mission de membre du Gun-Club, et je cours m'enterrer dans les savanes de l'Arkansas!
—Nous vous y suivrons,� r�pondirent les interlocuteurs de l'audacieux J.-T. Maston.
Or les choses en �taient l�, les esprits se montaient de plus en plus, et le club �tait menac� d'une dissolution prochaine, quand un �v�nement inattendu vint emp�cher cette regrettable catastrophe.
Le lendemain m�me de cette conversation, chaque membre du cercle recevait une circulaire libell�e en ces termes:
Baltimore, 3 octobre.
�Le pr�sident du Gun-Club a l'honneur de pr�venir ses coll�gues qu'� la s�ance du 5 courant il leur fera une communication de nature � les int�resser vivement. En cons�quence, il les prie, toute affaire cessante, de se rendre � l'invitation qui leur est faite par la pr�sente.
�Tr�s-cordialement leur
�Impey Barbicane, P. G.-C.�
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Les artilleurs du Gun-Club (p. 5).
Image plus grande CHAPITRE II COMMUNICATION DU PR�SIDENT BARBICANE.Le 5 octobre, � huit heures du soir, une foule compacte se pressait dans les salons du Gun-Club, 21, Union-square. Tous les membres du cercle r�sidant � Baltimore s'�taient rendus � l'invitation de leur pr�sident. Quant aux membres correspondants, les express les d�barquaient par centaines dans les rues de la ville, et si grande que f�t la �hall� des s�ances, 9 ce monde de savants n'avait pu y trouver place; aussi refluait-il dans les salles voisines, au fond des couloirs et jusqu'au milieu des cours ext�rieures; l�, il rencontrait le simple populaire qui se pressait aux portes, chacun cherchant � gagner les premiers rangs, tous avides de conna�tre l'importante communication du pr�sident Barbicane, se poussant, se bousculant, s'�crasant avec cette libert� d'action particuli�re aux masses �lev�es dans les id�es du �self government[8].�
Le pr�sident Barbicane (p. 11).
Image plus grandeCe soir-l�, un �tranger qui se f�t trouv� � Baltimore n'e�t pas obtenu, m�me � prix d'or, de p�n�trer dans la grande salle; celle-ci �tait exclusivement 10 r�serv�e aux membres r�sidants ou correspondants; nul autre n'y pouvait prendre place, et les notables de la cit�, les magistrats du conseil des selectmen[9] avaient d� se m�ler � la foule de leurs administr�s, pour saisir au vol les nouvelles de l'int�rieur.
Cependant l'immense �hall� offrait aux regards un curieux spectacle. Ce vaste local �tait merveilleusement appropri� � sa destination. De hautes colonnes form�es de canons superpos�s auxquels d'�pais mortiers servaient de base soutenaient les fines armatures de la vo�te, v�ritables dentelles de fonte frapp�es � l'emporte-pi�ce. Des panoplies d'espingoles, de tromblons, d'arquebuses, de carabines, de toutes les armes � feu anciennes ou modernes s'�cartelaient sur les murs dans un entrelacement pittoresque. Le gaz sortait � pleine flamme d'un millier de revolvers group�s en forme de lustres, tandis que des girandoles de pistolets et des cand�labres, faits de fusils r�unis en faisceaux, compl�taient ce splendide �clairage. Les mod�les de canons, les �chantillons de bronze, les mires cribl�es de coups, les plaques bris�es au choc des boulets du Gun-Club, les assortiments de refouloirs et d'�couvillons, les chapelets de bombes, les colliers de projectiles, les guirlandes d'obus, en un mot, tous les outils de l'artilleur surprenaient l'œil par leur �tonnante disposition et laissaient � penser que leur v�ritable destination �tait plus d�corative que meurtri�re.
A la place d'honneur on voyait, abrit� par une splendide vitrine, un morceau de culasse, bris� et tordu sous l'effort de la poudre, pr�cieux d�bris du canon de J.-T. Maston.
A l'extr�mit� de la salle, le pr�sident, assist� de quatre secr�taires, occupait une large esplanade. Son si�ge, �lev� sur un aff�t sculpt�, affectait dans son ensemble les formes puissantes d'un mortier de trente-deux pouces; il �tait braqu� sous un angle de quatre-vingt-dix degr�s et suspendu � des tourillons, de telle sorte que le pr�sident pouvait lui imprimer, comme aux �rocking-chairs[10],� un balancement fort agr�able par les grandes chaleurs. Sur le bureau, vaste plaque de t�le support�e par six caronades, on voyait un encrier d'un go�t exquis, fait d'un bisca�en d�licieusement cisel�, et un timbre � d�tonation qui �clatait, � l'occasion, comme un revolver. Pendant les discussions v�h�mentes, cette sonnette d'un nouveau genre suffisait � peine � couvrir la voix de cette l�gion d'artilleurs surexcit�s.
Devant le bureau, des banquettes dispos�es en zigzags, comme les circonvallations d'un retranchement, formaient une succession de bastions et de courtines o� prenaient place les membres du Gun-Club, et ce soir-l�, 11 on peut le dire, �il y avait du monde sur les remparts.� On connaissait assez le pr�sident pour savoir qu'il n'e�t pas d�rang� ses coll�gues sans un motif de la plus haute gravit�.
Impey Barbicane �tait un homme de quarante ans, calme, froid, aust�re, d'un esprit �minemment s�rieux et concentr�; exact comme un chronom�tre, d'un temp�rament � toute �preuve, d'un caract�re in�branlable; peu chevaleresque, aventureux cependant, mais apportant des id�es pratiques jusque dans ses entreprises les plus t�m�raires; l'homme par excellence de la Nouvelle-Angleterre, le Nordiste colonisateur, le descendant de ces T�tes-Rondes si funestes aux Stuarts, et l'implacable ennemi des gentlemen du Sud, ces anciens Cavaliers de la m�re-patrie. En un mot, un Yankee coul� d'un seul bloc.
Barbicane avait fait une grande fortune dans le commerce des bois; nomm� directeur de l'artillerie pendant la guerre, il se montra fertile en inventions; audacieux dans ses id�es, il contribua puissamment aux progr�s de cette arme, et donna aux recherches exp�rimentales un incomparable �lan.
C'�tait un personnage de taille moyenne, ayant, par une rare exception dans le Gun-Club, tous ses membres intacts. Ses traits accentu�s semblaient trac�s � l'�querre et au tire-ligne, et s'il est vrai que, pour deviner les instincts d'un homme, on doive le regarder de profil, Barbicane, vu ainsi, offrait les indices les plus certains de l'�nergie, de l'audace et du sang-froid.
En cet instant, il demeurait immobile dans son fauteuil, muet, absorb�, le regard en dedans, abrit� sous son chapeau � haute forme, cylindre de soie noire qui semble viss� sur les cr�nes am�ricains.
Ses coll�gues causaient bruyamment autour de lui sans le distraire; ils s'interrogeaient, ils se lan�aient dans le champ des suppositions, ils examinaient leur pr�sident et cherchaient, mais en vain, � d�gager l'X de son imperturbable physionomie.
Lorsque huit heures sonn�rent � l'horloge fulminante de la grande salle, Barbicane, comme s'il e�t �t� mu par un ressort, se redressa subitement; il se fit un silence g�n�ral, et l'orateur, d'un ton un peu emphatique, prit la parole en ces termes:
�Braves coll�gues, depuis trop longtemps d�j� une paix inf�conde est venue plonger les membres du Gun-Club dans un regrettable d�sœuvrement. Apr�s une p�riode de quelques ann�es, si pleine d'incidents, il a fallu abandonner nos travaux et nous arr�ter net sur la route du progr�s. Je ne crains pas de le proclamer � haute voix, toute guerre qui nous remettrait les armes � la main serait bien venue...
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—Oui, la guerre! s'�cria l'imp�tueux J.-T. Maston.
—�coutez! �coutez! r�pliqua-t-on de toutes parts.
—Mais la guerre, dit Barbicane, la guerre est impossible dans les circonstances actuelles, et, quoi que puisse esp�rer mon honorable interrupteur, de longues ann�es s'�couleront encore avant que nos canons ne tonnent sur un champ de bataille. Il faut donc en prendre son parti et chercher dans un autre ordre d'id�es un aliment � l'activit� qui nous d�vore!�
L'assembl�e sentit que son pr�sident allait aborder le point d�licat. Elle redoubla d'attention.
�Depuis quelques mois, mes braves coll�gues, reprit Barbicane, je me suis demand� si, tout en restant dans notre sp�cialit�, nous ne pourrions pas entreprendre quelque grande exp�rience digne du dix-neuvi�me si�cle, et si les progr�s de la balistique ne nous permettraient pas de la mener � bonne fin. J'ai donc cherch�, travaill�, calcul�, et de mes �tudes est r�sult�e cette conviction que nous devons r�ussir dans une entreprise qui para�trait impraticable � tout autre pays. Ce projet, longuement �labor�, va faire l'objet de ma communication; il est digne de vous, digne du pass� du Gun-Club, et il ne pourra manquer de faire du bruit dans le monde!
—Beaucoup de bruit? s'�cria un artilleur passionn�.
—Beaucoup de bruit dans le vrai sens du mot, r�pondit Barbicane.
—N'interrompez pas! r�p�t�rent plusieurs voix.
—Je vous prie donc, braves coll�gues, reprit le pr�sident, de m'accorder toute votre attention.�
Un fr�missement courut dans l'assembl�e. Barbicane, ayant d'un geste rapide assur� son chapeau sur sa t�te, continua son discours d'une voix calme:
�Il n'est aucun de vous, braves coll�gues, qui n'ait vu la Lune, ou tout au moins, qui n'en ait entendu parler. Ne vous �tonnez pas si je viens vous entretenir ici de l'astre des nuits. Il nous est peut-�tre r�serv� d'�tre les Colombs de ce monde inconnu. Comprenez-moi, secondez-moi de tout votre pouvoir, je vous m�nerai � sa conqu�te, et son nom se joindra � ceux des trente-six �tats qui forment ce grand pays de l'Union!
—Hurrah pour la Lune! s'�cria le Gun-Club d'une seule voix.
—On a beaucoup �tudi� la Lune, reprit Barbicane; sa masse, sa densit�, son poids, son volume, sa constitution, ses mouvements, sa distance, son r�le dans le monde solaire sont parfaitement d�termin�s; on a dress� des cartes s�l�nographiques[11] avec une perfection qui �gale, si m�me elle 13 ne surpasse pas celle des cartes terrestres; la photographie a donn� de notre satellite des �preuves d'une incomparable beaut�[12]. En un mot, on sait de la Lune tout ce que les sciences math�matiques, l'astronomie, la g�ologie, l'optique peuvent en apprendre; mais jusqu'ici il n'a jamais �t� �tabli de communication directe avec elle.�
Un violent mouvement d'int�r�t et de surprise accueillit cette phrase de l'orateur.
�Permettez-moi, reprit-il, de vous rappeler en quelques mots comment certains esprits ardents, embarqu�s pour des voyages imaginaires, pr�tendirent avoir p�n�tr� les secrets de notre satellite. Au dix-septi�me si�cle, un certain David Fabricius se vanta d'avoir vu de ses yeux des habitants de la Lune. En 1649, un Fran�ais, Jean Baudoin, publia le Voyage fait au monde de la Lune par Dominique Gonzal�s, aventurier espagnol. A la m�me �poque, Cyrano de Bergerac fit para�tre cette exp�dition c�l�bre qui eut tant de succ�s en France. Plus tard, un autre Fran�ais,—ces gens-l� s'occupent beaucoup de la Lune,—le nomm� Fontenelle �crivit la Pluralit� des Mondes, un chef-d'œuvre en son temps; mais la science, en marchant, �crase m�me les chefs-d'œuvre! Vers 1835, un opuscule traduit du New-York American raconta que sir John Herschell, envoy� au cap de Bonne-Esp�rance pour y faire des �tudes astronomiques, avait, au moyen d'un t�lescope perfectionn� par un �clairage int�rieur, ramen� la Lune � une distance de quatre-vingts yards[13]. Alors il aurait aper�u distinctement des cavernes dans lesquelles vivaient des hippopotames, de vertes montagnes frang�es de dentelles d'or, des moutons aux cornes d'ivoire, des chevreuils blancs, des habitants avec des ailes membraneuses comme celles de la chauve-souris. Cette brochure, œuvre d'un Am�ricain nomm� Locke[14], eut un tr�s-grand succ�s. Mais bient�t on reconnut que c'�tait une mystification scientifique, et les Fran�ais furent les premiers � en rire.
—Rire d'un Am�ricain! s'�cria J.-T. Maston; mais voil� un casus belli!...
—Rassurez-vous, mon digne ami. Les Fran�ais, avant d'en rire, avaient �t� parfaitement dupes de notre compatriote. Pour terminer ce rapide historique, j'ajouterai qu'un certain Hans Pfaal de Rotterdam, s'�lan�ant dans un ballon rempli d'un gaz tir� de l'azote, et trente-sept fois plus l�ger que l'hydrog�ne, atteignit la Lune apr�s dix-neuf jours de travers�e. Ce voyage, comme les tentatives pr�c�dentes, �tait simplement imaginaire, 14 mais ce fut l'œuvre d'un �crivain populaire en Am�rique, d'un g�nie �trange et contemplatif. J'ai nomm� Po�!
—Hurrah pour Edgard Po�! s'�cria l'assembl�e, �lectris�e par les paroles de son pr�sident.
—J'en ai fini, reprit Barbicane, avec ces tentatives que j'appellerai purement litt�raires, et parfaitement insuffisantes pour �tablir des relations s�rieuses avec l'astre des nuits. Cependant, je dois ajouter que quelques esprits pratiques essay�rent de se mettre en communication s�rieuse avec lui. Ainsi, il y a quelques ann�es, un g�om�tre allemand proposa d'envoyer une commission de savants dans les steppes de la Sib�rie. L�, sur de vastes plaines, on devait �tablir d'immenses figures g�om�triques, dessin�es au moyen de r�flecteurs lumineux, entre autres le carr� de l'hypoth�nuse, vulgairement appel� le �Pont aux �nes� par les Fran�ais. �Tout �tre intelligent, disait le g�om�tre, doit comprendre la destination scientifique de cette figure. Les S�l�nites[15], s'ils existent, r�pondront par une figure semblable, et la communication une fois �tablie, il sera facile de cr�er un alphabet qui permettra de s'entretenir avec les habitants de la Lune.� Ainsi parlait le g�om�tre allemand, mais son projet ne fut pas
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