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Read books online » Fiction » Voyage au Centre de la Terre by Jules Verne (best novels of all time txt) 📖

Book online «Voyage au Centre de la Terre by Jules Verne (best novels of all time txt) 📖». Author Jules Verne



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id="id01675">—Cependant nous marchons avec vitesse…

—Que m'importe? Ce n'est pas la vitesse qui est trop petite, c'est la mer qui est trop grande!»

Je me souviens alors que le professeur, avant notre départ, estimait à une trentaine de lieues la longueur de ce souterrain. Or nous avons parcouru un chemin trois fois plus long, et les rivages du sud n'apparaissent pas encore.

«Nous ne descendons pas! reprend le professeur. Tout cela est du temps perdu, et, en somme, je ne suis pas venu si loin pour faire une partie de bateau sur un étang!

Il appelle cette traversée une partie de bateau, et cette mer un étang!

«Mais, dis-je, puisque nous avons suivi la route indiquée par
Saknussemm…

—C'est la question. Avons-nous suivi cette route? Saknussemm a-t-il rencontré cette étendue d'eau? L'a-t-il traversée? Ce ruisseau que nous avons pris pour guide ne nous a-t-il pas complètement égarés?

—En tout cas, nous ne pouvons regretter, d'être venus jusqu'ici.
Ce spectacle est magnifique, et…

—Il ne s'agit pas de voir. Je me suis proposé un but, et je veux l'atteindre! Ainsi ne me parle pas d'admirer!»

Je me le tiens pour dit, et je laisse le professeur se ronger les lèvres d'impatience. A six heures du soir, Hans réclame sa paye, et ses trois rixdales lui sont comptés.

Dimanche 16 août.—Rien de nouveau. Même temps. Le vent a une légère tendance à fraîchir. En me réveillant, mon premier soin est de constater l'intensité de la lumière. Je crains toujours que le phénomène électrique ne vienne à s'obscurcir, puis à s'éteindre. Il n'en est rien: l'ombre du radeau est nettement dessinée à la surface des flots.

Vraiment cette mer est infinie! Elle doit avoir la largeur de la
Méditerranée, ou même de l'Atlantique. Pourquoi pas?

Mon oncle sonde à plusieurs reprises; il attache un des plus lourds pics à l'extrémité d'une corde qu'il laisse filer de deux cents brasses. Pas de fond. Nous avons beaucoup de peine à ramener notre sonde.

Quand le pic est remonté à bord, Hans me fait remarquer à sa surface des empreintes fortement accusées. On dirait que ce morceau de fer a été vigoureusement serré entre deux corps durs.

Je regarde le chasseur.

«Tänder!» fait-il.

Je ne comprends pas. Je me tourne vers mon oncle, qui est entièrement absorbé dans ses réflexions. Je ne me soucie pas de le déranger. Je reviens vers l'Islandais. Celui-ci, ouvrant et refermant plusieurs fois la bouche, me fait comprendre sa pensée.

«Des dents!» dis-je avec stupéfaction en considérant plus attentivement la barre de fer.

Oui! ce sont bien des dents dont l'empreinte s'est incrustée dans le métal! Les mâchoires qu'elles garnissent doivent posséder une force prodigieuse! Est-ce un monstre des espèces perdues qui s'agite sous la couche profonde des eaux, plus vorace que le squale, plus redoutable que la baleine! Je ne puis détacher mes regards de cette barre à demi rongée! Mon rêve de la nuit dernière va-t-il devenir une réalité?

Ces pensées m'agitent pendant tout le jour, et mon imagination se calme à peine dans un sommeil de quelques heures.

Lundi 17 août.—Je cherche à me rappeler les instincts particuliers à ces animaux antédiluviens de l'époque secondaire, qui, succédant aux mollusques, aux crustacés et aux poissons, précédèrent l'apparition des mammifères sur le globe. Le monde appartenait alors aux reptiles. Ces monstres régnaient en maîtres dans les mers jurassiques[1]. La nature leur avait accordé la plus complète organisation. Quelle gigantesque structure! quelle force prodigieuse! Les sauriens actuels, alligators ou crocodiles, les plus gros et les plus redoutables, ne sont que des réductions affaiblies de leurs pères des premiers âges!

[1] Mers de la période secondaire qui ont formé les terrains dont se composent les montagnes du Jura.

Je frissonne à l'évocation que je fais de ces monstres. Nul oeil humain ne les a vus vivants. Ils apparurent sur la terre mille siècles avant l'homme, mais leurs ossements fossiles, retrouvés dans ce calcaire argileux que les Anglais nomment le lias, ont permis de les reconstruire anatomiquement et de connaître leur colossale conformation.

J'ai vu au Muséum de Hambourg le squelette de l'un de ces sauriens qui mesurait trente pieds de longueur. Suis-je donc destiné, moi, habitant de la terre, à me trouver face à face avec ces représentants d'une famille antédiluvienne? Non! c'est impossible. Cependant la marque des dents puissantes est gravée sur la barre de fer, et à leur empreinte je reconnais qu'elles sont coniques comme celles du crocodile.

Mes yeux se fixent avec effroi sur la mer; je crains de voir s'Ă©lancer l'un de ces habitants des cavernes sous-marines.

Je suppose que le professeur Lidenbrock partage mes idées, sinon mes craintes, car, après avoir examiné le pic, il parcourt l'océan du regard.

«Au diable, dis-je en moi-même, cette idée qu'il a eue de sonder! Il a troublé quelque animal marin dans sa retraite, et si nous ne sommes pas attaqués en route!…»

Je jette un coup d'oeil sur les armes, et je m'assure qu'elles sont en bon Ă©tat. Mon oncle me voit faire et m'approuve du geste.

Déjà de larges agitations produites à la surface des flots indiquent le trouble des couches reculées. Le danger est proche. Il faut veiller.

Mardi 18 août.—Le soir arrive, ou plutôt le moment où le sommeil alourdit nos paupières, car la nuit manque à cet océan, et l'implacable lumière fatigue obstinément nos yeux, comme si nous naviguions sous le soleil des mers arctiques. Hans est à la barre. Pendant son quart je m'endors.

Deux heures après, une secousse épouvantable me réveille. Le radeau a été soulevé hors des flots avec une indescriptible puissance et rejeté à vingt toises de là.

«Qu'y a-t-il? s'écria mon oncle; avons-nous touché?»

Hans montre du doigt, à une distance de deux cents toises, une masse noirâtre qui s'élève et s'abaisse tour à tour. Je regarde et je m'écrie:

«C'est un marsouin colossal!

—Oui, réplique mon oncle, et voilà maintenant un lézard de mer d'une grosseur peu commune.

—Et plus loin un crocodile monstrueux! Voyez sa large mâchoire et les rangées de dents dont elle est armée. Ah! il disparaît!

—Une baleine! une baleine! s'écrie alors le professeur. J'aperçois ses nageoires énormes! Vois l'air et l'eau qu'elle chasse par ses évents!»

En effet, deux colonnes liquides s'élèvent à une hauteur considérable au-dessus de la mer. Nous restons surpris, stupéfaits, épouvantés, en présence de ce troupeau de monstres marins. Ils ont des dimensions surnaturelles, et le moindre d'entre eux briserait le radeau d'un coup de dent. Hans veut mettre la barre au vent, afin de fuir ce voisinage dangereux; mais il aperçoit sur l'autre bord d'autres ennemis non moins redoutables: une tortue large de quarante pieds, et un serpent long de trente, qui darde sa tête énorme au-dessus des flots.

Impossible de fuir. Ces reptiles s'approchent; ils tournent autour du radeau avec une rapidité que des convois lancés à grande vitesse ne sauraient égaler; ils tracent autour de lui des cercles concentriques. J'ai pris ma carabine. Mais quel effet peut produire une balle sur les écailles dont le corps de ces animaux est recouvert?

Nous sommes muets d'effroi. Les voici qui s'approchent! D'un côté le crocodile, de l'autre le serpent. Le reste du troupeau marin a disparu. Je vais faire feu. Hans m'arrête d'un signe. Les deux monstres passent à cinquante toises du radeau, se précipitent l'un sur l'autre, et leur fureur les empêche de nous apercevoir.

Le combat s'engage Ă  cent toises du radeau. Nous voyons distinctement les deux monstres aux prises.

Mais il me semble que maintenant les autres animaux viennent prendre part à la lutte, le marsouin, la baleine, le lézard, la tortue; à chaque instant je les entrevois. Je les montre à l'Islandais. Celui-ci remue la tête négativement.

«Tva», fait-il.

—Quoi! deux! il prétend que deux animaux seulement…

—Il a raison, s'écrie mon oncle, dont la lunette n'a pas quitté les yeux.

—Par exemple!

—Oui! le premier de ces monstres a le museau d'un marsouin, la tête d'un lézard, les dents d'un crocodile, et voilà ce qui nous a trompés. C'est le plus redoutable des reptiles antédiluviens, l'Ichthyosaurus!

—Et l'autre?

—L'autre, c'est un serpent caché dans la carapace d'une tortue, le terrible ennemi du premier, le Plesiosaurus!»

Hans a dit vrai. Deux monstres seulement troublent ainsi la surface de la mer, et j'ai devant les yeux deux reptiles des océans primitifs. J'aperçois l'oeil sanglant de l'Ichthyosaurus, gros comme la tête d'un homme. La nature l'a doué d'un appareil d'optique d'une extrême puissance et capable de résister à la pression des couches d'eau dans les profondeurs qu'il habite. On l'a justement nommé la baleine des Sauriens, car il en a la rapidité et la taille. Celui-ci ne mesure pas moins de cent pieds, et je peux juger de sa grandeur quand il dresse au-dessus des flots les nageoires verticales de sa queue. Sa mâchoire est énorme, et d'après les naturalistes, elle ne compte pas moins de cent quatre-vingt-deux dents.

Le Plesiosaurus, serpent à tronc cylindrique, à queue courte, a les pattes disposées en forme de rame. Son corps est entièrement revêtu d'une carapace, et son cou, flexible comme celui du cygne, se dresse à trente pieds au-dessus des flots.

Ces animaux s'attaquent avec une indescriptible furie. Ils soulèvent des montagnes liquides qui s'étendent jusqu'au radeau. Vingt fois nous sommes sur le point de chavirer. Des sifflements d'une prodigieuse intensité se font entendre. Les deux bêtes sont enlacées. Je ne puis les distinguer l'une de l'autre! Il faut tout craindre de la rage du vainqueur.

Une heure, deux heures se passent. La lutte continue avec le mĂŞme acharnement. Les combattants se rapprochent du radeau et s'en Ă©loignent tour Ă  tour. Nous restons immobiles, prĂŞts Ă  faire feu.

Soudain l'Ichthyosaurus et le Plesiosaurus disparaissent en creusant un véritable maëlstrom. Le combat va-t-il se terminer dans les profondeurs de la mer?

Mais tout à coup une tête énorme s'élance au dehors, la tête du Plesiosaurus. Le monstre est blessé à mort. Je n'aperçois plus son immense carapace. Seulement, son long cou se dresse, s'abat, se relève, se recourbe, cingle les flots comme un fouet gigantesque et se tord comme un ver coupé. L'eau rejaillit à une distance considérable. Elle nous aveugle. Mais bientôt l'agonie du reptile touche à sa fin, ses mouvements diminuent, ses contorsions s'apaisent, et ce long tronçon de serpent s'étend comme une masse inerte sur les flots calmés.

Quant à l'Ichthyosaurus, a-t-il donc regagné sa caverne sous-marine, ou va-t-il reparaître à la surface de la mer?

XXXIV

Mercredi 19 août.—Heureusement le vent, qui souffle avec force, nous a permis de fuir rapidement le théâtre du combat. Hans est toujours au gouvernail. Mon oncle, tiré de ses absorbantes idées par les incidents de ce combat, retombe dans son impatiente contemplation de la mer.

Le voyage reprend sa monotone uniformité, que je ne tiens pas à rompre au prix des dangers d'hier.

Jeudi 20 août.—Brise N.-N.-E. assez inégale. Température chaude. Nous marchons avec une vitesse de trois lieues et demie à l'heure.

Vers midi un bruit très éloigné se fait entendre.

Je consigne ici le fait sans pouvoir en donner l'explication.
C'est un mugissement continu.

«Il y a au loin, dit le professeur, quelque rocher, ou quelque îlot sur lequel la mer se brise.»

Hans se hisse au sommet du mât, mais ne signale aucun écueil.
L'océan est uni jusqu'à sa ligne d'horizon.

Trois heures se passent. Les mugissements semblent provenir d'une chute d'eau éloignée.

Je le fais remarquer à mon oncle, qui secoue la tête. J'ai pourtant la conviction que je ne me trompe pas. Courons-nous donc à quelque cataracte qui nous précipitera dans l'abîme? Que cette manière de descendre plaise au professeur, parce qu'elle se rapproche de la verticale, c'est possible, mais à moi…

En tout cas, il doit y avoir à quelques lieues au vent un phénomène bruyant, car maintenant les mugissements se font entendre avec une grande violence. Viennent-ils du ciel ou de l'océan?

Je porte mes regards vers les vapeurs suspendues dans l'atmosphère, et je cherche à sonder leur profondeur. Le ciel est tranquille; les nuages, emportés au plus haut de la voûte, semblent immobiles et se perdent dans l'intense irradiation de la lumière. Il faut donc chercher ailleurs la cause de ce phénomène.

J'interroge alors l'horizon pur et dégagé de toute brume.

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