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Book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (win 10 ebook reader txt) 📖». Author C.-A. Sainte-Beuve



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Et Tant

Soit Peu Jacobin Par Ceux Qui Le Jugent De Plus Près Et Croient Le

Connaître Mieux; Mais Il Nous Apparaît Déjà Ce Qu'il Sera Toujours Au

Fond, Un Girondin De Nature, Inconséquent, Généreux, Avec De Nobles

Essors Trop Vite Brisés, Avec Un Secret Mépris Des Hommes Et Une

Expérience Anticipée Qui Ne Lui Interdisent Pourtant Pas De Chercher

Encore Une Belle Cause Pour Ses Talents Et Son Éloquence.

 

L'astre De Mme De Charrière N'a Pas Trop Pâli Durant Tout Ce Premier

Séjour; Il Lui Écrit Constamment, Abondamment, Et Même De Certains

Détails Qu'il N'est Pas Absolument Nécessaire De Raconter À Une Femme.

Il Se Reporte Souvent En Idée À Ces Deux Mois De Bonheur À Colombier, Et

Il A L'air, Par Moments, De Croire En Vérité Que Son Avenir Est Là. Un

Voyage Qu'il Fait En Suisse, Dans L'été De 1793, Dut Contribuer À Le

Détromper; Quelques Années De Plus, Quelques Derniers Automnes Avaient

Achevé De Ranger Mme De Charrière Dans L'ombre Entière Et Sans Rayons.

Il Retourne Encore À Brunswick Au Printemps De 1794, Mais Il N'y Tient

Plus, Il Revient En Suisse, Il Y Rencontre Pour La Première Fois Mme De

Staël, Le 19 Septembre De Cette Année. Un Plus Large Horizon S'ouvre À

Ses Regards, Un Monde D'idées Se Révèle; Une Carrière D'activité Et De

Gloire Le Tente. Il Arrive À Paris Dans L'été De 1795, Il Y Embrasse Une

Cause, Il S'y Fait Une Patrie.

 

Le Reste Est Connu, Et L'on A Raison De Dire Avec M. Gaullieur Que

«Cette Avant-Scène De La Biographie De Benjamin Constant Est La Seule

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 108

Dont Il Soit Piquant Aujourd'hui De S'enquérir: Elle Forme, Dit-Il,

Comme Une Contre-Épreuve De La Première Partie Des _Confessions_ De

Jean-Jacques. C'est Le Même Sol Et Le Même Théâtre; Ce Sont D'abord Les

Mêmes Erreurs Et Les Mêmes Agitations, Presque Les Mêmes Idées, Mais

Passées À Une Autre Filière Et Reçues Par Un Monde Différent.»

 

On Peut Se Demander Avant Tout Comment Une Influence Aussi Réelle, Aussi

Sérieuse Que L'a Été Celle De Mme De Charrière, N'a Pas Laissé Plus De

Trace Extérieure Dans La Carrière De Benjamin Constant; Comment Elle

A Si Complètement Disparu Dans Le Tourbillon Et L'éclat De Ce Qui

A Succédé, Et Par Quel Inconcevable Oubli Il N'a Nulle Part Rendu

Témoignage À Un Nom Qui Était Fait Pour Vivre Et Pour Se Rattacher Au

Sien. M. Gaullieur N'hésite Pas À Reconnaître Un Portrait De Mme De

Charrière Dans Cette Page Du Début D'_Adolphe_:

 

«J'avais, À L'âge De Dix-Sept Ans, Vu Mourir Une Femme Âgée, Dont

L'esprit, D'une Tournure Remarquable Et Bizarre, Avait Commencé À

Développer Le Mien. Cette Femme, Comme Tant D'autres, S'était, À

L'entrée De Sa Carrière, Lancée Vers Le Monde, Qu'elle Ne Connaissait

Pas, Avec Le Sentiment D'une Grande Force D'âme Et De Facultés Vraiment

Puissantes. Comme Tant D'autres Aussi, Faute De S'être Pliée À Des

Convenances Factices, Mais Nécessaires, Elle Avait Vu Ses Espérances

Trompées, Sa Jeunesse Passer Sans Plaisir, Et La Vieillesse Enfin

L'avait Atteinte Sans La Soumettre. Elle Vivait Dans Un Château Voisin

D'une De Nos Terres, Mécontente Et Retirée, N'ayant Que Son Esprit Pour

Ressource, Et Analysant Tout Avec Son Esprit[111]. Pendant Près D'un An,

Dans Nos Conversations Inépuisables, Nous Avions Envisagé La Vie Sous

Toutes Ses Faces, Et La Mort Toujours Pour Terme De Tout; Et, Après

Avoir Tant Causé De La Mort Avec Elle, J'avais Vu La Mort La Frapper À

Mes Yeux.»

 

[Note 111: Un Parent De Benjamin Constant, M. D'hermenches, Connu Par

La Correspondance Générale De Voltaire, Était Moins Sévère Ou Plutôt

Moins Injuste Quand Il Écrivait À Mme De Charrière, Plus Jeune Il Est

Vrai: «Je Voudrais, Aimable Agnès, Qu'avec La Réputation D'une Personne

D'infiniment D'esprit, On Ne Vous Donnât Pas Celle D'une Personne

Singulière, Car Vous Ne L'êtes Pas. Vous Êtes Trop Bonne, Trop Honnête,

Trop Naturelle; Faites-Vous Un Système Qui Vous Rapproche Des Formes

Reçues, Et Vous Serez Au-Dessus De Tous Les Beaux Esprits Présents

Et Passés. C'est Un Conseil Que J'ose Donner À Mon Amie À L'âge De

Vingt-Six Ans. Adieu, Divine Personne.» (Note De M. Gaullieur.)]

 

Quoiqu'il Y Ait Quelque Arrangement À Tout Ceci, Que Benjamin Constant,

À L'âge De Vingt Ans, N'ait Peut-Être Pas Trouvé D'abord Mme De

Charrière Une Personne Aussi _Âgée_ Qu'adolphe Veut Bien Le Dire, Et

Qu'il Ne L'ait Pas Vue Précisément À Son Lit De Mort, L'intention Du

Portrait Est Incontestable, Et On Ne Saurait Y Méconnaître Celle Qu'on A

Une Fois Rencontrée.--«J'avais, Dit Encore Adolphe, J'avais Contracté,

Dans Mes Conversations Avec La Femme Qui, La Première, Avait Développé

Mes Idées, Une Insurmontable Aversion Pour Toutes Les Maximes Communes

Et Pour Toutes Les Formules Dogmatiques.» On Va Voir, En Effet, Que Les

Maximes Communes N'étaient Guère D'usage Entre Eux, Et Ce Sont Justement

Ces Conversations Inépuisables, Ces Excès Même D'analyse, Que Nous

Sommes Presque En Mesure De Ressaisir Au Complet Et De Prendre Sur Le

Fait Aujourd'hui. Adolphe Va En Être Mieux Connu; Ses Origines Morales

Vont S'en Éclairer, Hélas! Jusqu'en Leurs Racines.

 

M. Gaullieur, Dans Son Introduction, A Eu Le Soin De S'arrêter Sur

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 109

Quelques Circonstances De La Biographie De Mme De Charrière, De

Développer Ou De Rectifier Plusieurs Points Où Les Renseignements

Antérieurs Avaient Fait Défaut. La Notice De La _Revue Des Deux Mondes_

Avait Dit D'elle Qu'elle Était _Médiocrement Jolie_; M. Gaullieur

Fournit Des Preuves Très-Satisfaisantes Du Contraire: «Son Buste Par

Houdon, Dit-Il, Et Son Portrait Par Latour, Que Je Possède Dans Ma

Bibliothèque, Témoignent De L'_Étincelante_ Beauté De Mme De Charrière.

L'épithète Est D'un De Ses Adorateurs[112].» On Avait Dit Encore Qu'elle

Avait Eu Quelque Difficulté À Se Marier, Étant _Sans Dot Ou À Peu Près_.

M. Gaullieur Montre Qu'elle Reçut En Dot 100,000 Florins De Hollande Et

Qu'à Aucun Moment Les Épouseurs Ne Manquèrent; Qu'elle En Refusa Même De

Maison Souveraine, Et Que Si Elle Se Décida Pour Un Précepteur Suisse,

C'est Que Sa Sympathie Pour Le Saint-Preux L'emporta.

 

[Note 112: Oserons-Nous, Après Cela, Faire Remarquer Qu'il Ne Faut

Pas Toujours Prendre Exactement Au Pied De La Lettre Ce Que Disent Les

Adorateurs? Dans Un Portrait D'elle Par Elle-Même, Mme De Charrière

Semble Être Un Un Moins Certaine De Sa Beauté: «Vous Me Demanderez

Peut-Être Si _Zélinde_ Est Belle, Ou Jolie, Ou Passable? Je Ne Sais;

C'est Selon Qu'on L'aime, Ou Qu'elle Veut Se Faire Aimer. Elle A

La Gorge Belle, Elle Le Sait Et S'en Pare Un Peu Trop Au Gré De La

Modestie. Elle N'a Pas La Main Blanche, Elle Le Sait Aussi Et En Badine,

Mais Elle Voudrait Bien N'avoir Pas Sujet D'en Badiner...»]

 

Mais, Laissant Ces Minces Détails, Nous Introduirons Sans Plus Tarder

Le Personnage Principal. La Situation Est Celle-Ci: Mme De Charrière,

Auteur Célèbre De _Caliste_, Et Qui Ne Doit Pas Avoir Moins De

Quarante-Cinq Ans, Est Venue Passer Quelque Temps À Paris Dans La

Famille De M. Necker, Ou Du Moins Dans Le Voisinage. Benjamin Constant

Y Est Venu De Son Côté; À Ce Moment, L'assemblée Des Notables, Les

Conflits Avec Le Parlement, Excitent Un Vif Intérêt; La Curiosité

Universelle Est En Jeu, Et Celle Du Nouvel Arrivant N'est Pas En Reste.

Il Voit Le Monde De Mme Suard, Il Suit Les Cours De La Harpe Au Lycée,

Il Dîne Avec Laclos. Cette Vie Oisive Et Sans But Déplaît Au Père De

Benjamin: Il Veut Que Son Fils, Qui Aura Dans Quelques Mois Ses Vingt

Ans Accomplis, Embrasse Un État; Il Lui Enjoint De Quitter Paris Et De

Venir Le Retrouver Sur-Le-Champ Dans Sa Garnison De Bois-Le-Duc[113], Où

Le Jeune Homme Sera Sommé De Choisir Entre La Robe Ou L'épée, Entre La

Diplomatie Ou La Finance. Voici Quelques-Unes Des Premières Lettres, Où

Le Caractère Éclate Tel Qu'il Sera Toute La Vie. Quant Au Style, Il Est

Ce Qu'il Peut, Il N'est Pas Formé Encore, Mais L'esprit Va Son Train

Tout Au Travers. Nous Ne Faisons Qu'extraire Le Travail De M. Gaullieur,

Et Y Emprunter Notes Et Éclaircissements.

 

[Note 113: Le Père De Benjamin Constant Était Au Service Des

États-Généraux De Hollande.]

 

«Douvres, Ce 26 Juin 1787.

 

«Il Y A Dans Le Monde, Sans Que Le Monde S'en Doute, Un Grave Auteur

Allemand Qui Observe Avec Beaucoup De Sagesse, À L'occasion D'une

Gouttière Qu'un Soldat Fondit Pour En Faire Des Balles, Que L'ouvrier

Qui L'avait Posée Ne Se Doutait Point Qu'elle Tuerait Quelqu'un De Ses

Descendants.

 

«C'est Ainsi, Madame (Car C'est Comme Cela Qu'il Faut Commencer Pour

Donner À Ses Phrases Toute L'emphase Philosophique), C'est Ainsi,

Dis-Je, Que Lorsque Tous Les Jours De La Semaine Dernière Je Prenais

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 110

Tranquillement Du Thé En Parlant Raison Avec Vous, Je Ne Me Doutais Pas

Que Je Ferais Avec Toute Ma Raison Une Énorme Sottise; Que L'ennui,

Réveillant En Moi L'amour, Me Ferait Perdre La Tête, Et Qu'au Lieu De

Partir Pour Bois-Le-Duc, Je Partirais Pour L'angleterre, Presque Sans

Argent Et Absolument Sans But.

 

«C'est Cependant Ce Qui Est Arrivé De La Façon La Plus Singulière.

Samedi Dernier, À Sept Heures, Mon Conducteur Et Moi Nous Partîmes Dans

Une Petite Chaise Qui Nous Cahota Si Bien, Que Nous N'eûmes Pas Fait Une

Demi-Lieue Que Nous Ne Pouvions Plus Y Tenir, Et Que Nous Fûmes Obligés

De Revenir Sur Nos Pas. À Neuf, De Retour À Paris, Il Se Mit À Chercher

Un Autre Véhicule Pour Nous Traîner En Hollande; Et Moi, Qui Me

Proposais De Vous Faire Ma Cour Encore Ce Soir-Là, Puisque Nous Ne

Partions Que Le Lendemain, Je M'en Retournai Chez Moi Pour Y Chercher Un

Habit Que J'avais Oublié. Je Trouvai Sur Ma Table La Réponse Sèche Et

Froide De La Prudente Jenny[114]. Cette Lettre, Le Regret Sourd De La

Quitter, Le Dépit D'avoir Manqué Cette Affaire, Le Souvenir De Quelques

Conversations Attendrissantes Que Nous Avions Eues Ensemble, Me Jetèrent

Dans Une Mélancolie Sombre.

 

[Note 114: Il S'agissait D'une Demande En Mariage Faite Quelques

Jours Auparavant. Mlle Jenny Pourrat, Vivement Recherchée Par Benjamin

Constant, Avait Répondu De Manière À Laisser Bien Peu D'espérances, Ou

Du Moins Sa Réponse Décelait Beaucoup De Coquetterie Et De Calcul.]

 

«En Fouillant Dans D'autres Papiers, Je Trouvai Une Autre Lettre D'une

De Mes Parentes, Qui, En Me Parlant De Mon Père, Me Peignait Son

Mécontentement De Ce Que Je N'avais Point D'état, Ses Inquiétudes Sur

L'avenir, Et Me Rappelait Ses Soins Pour Mon Bonheur Et L'intérêt Qu'il

Y Mettait. Je Me Représentai, Moi, Pauvre Diable, Ayant Manqué Dans Tous

Mes Projets, Plus Ennuyé, Plus Malheureux, Plus Fatigué Que Jamais De

Ma Triste Vie. Je Me Figurai Ce Pauvre Père Trompé Dans Toutes Ses

Espérances, N'ayant Pour Consolation Dans Sa Vieillesse

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