Voyage au Centre de la Terre by Jules Verne (best novels of all time txt) 📖
- Author: Jules Verne
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Mon oncle et moi, nous fîmes très bon accueil à cette «couvée», et bientôt il y eut trois ou quatre de ces marmots sur nos épaules, autant sur nos genoux et le reste entre nos jambes. Ceux qui parlaient répétaient «saellvertu» dans tous les tons imaginables. Ceux qui ne parlaient pas n'en criaient que mieux.
Ce concert fut interrompu par l'annonce du repas. En ce moment rentra le chasseur, qui venait de pourvoir à la nourriture des chevaux, c'est-à-dire qu'il les avait économiquement lâchés à travers champs; les pauvres bêtes devaient se contenter de brouter la mousse rare des rochers, quelques fucus peu nourrissants, et le lendemain elles ne manqueraient pas de venir d'elles-mêmes reprendre le travail de la veille.
«Saellvertu,» fit Hans en entrant.
Puis tranquillement, automatiquement, sans qu'un baiser fût plus accentué que l'autre, il embrassa l'hôte, l'hôtesse et leurs dix-neuf enfants.
La cérémonie terminée, on se mit à table, au nombre de vingt-quatre, et par conséquent les uns sur les autres, dans le véritable sens de l'expression. Les plus favorisés n'avaient que deux marmots sur les genoux.
Cependant le silence se fit dans ce petit monde à l'arrivée de la soupe, et la taciturnité naturelle, même aux gamins islandais, reprit son empire. L'hôte nous servit une soupe au lichen et point désagréable, puis une énorme portion de poisson sec nageant dans du beurre aigri depuis vingt ans, et par conséquent bien préférable au beurre frais, d'après les idées gastronomiques de l'Islande. Il y avait avec cela du «skyr», sorte de lait caillé, accompagné de biscuit et relevé par du jus de baies de genièvre; enfin, pour boisson, du petit lait mêlé d'eau, nommé «blanda» dans le pays. Si cette singulière nourriture était bonne ou non, c'est ce dont je ne pus juger. J'avais faim, et, au dessert, j'avalai jusqu'à la dernière bouchée une épaisse bouillie de sarrasin.
Le repas terminé, les enfants disparurent; les grandes personnes entourèrent le foyer où brûlaient de la tourbe, des bruyères, du fumier de vache et des os de poissons desséchés. Puis, après cette «prise de chaleur», les divers groupes regagnèrent leurs chambres respectives. L'hôtesse offrit de nous retirer, suivant la coutume, nos bas et nos pantalons; mais, sur un refus des plus gracieux de notre part, elle n'insista pas, et je pus enfin me blottir dans ma couche de fourrage.
Le lendemain, à cinq heures, nous faisions nos adieux au paysan islandais; mon oncle eut beaucoup de peine à lui faire accepter une rémunération convenable, et Hans donna le signal du départ.
À cent pas de Gardär, le terrain commença à changer d'aspect; le sol devint marécageux et moins favorable à la marche. Sur la droite, la série des montagnes se prolongeait indéfiniment comme un immense système de fortifications naturelles, dont nous suivions la contrescarpe; souvent des ruisseaux se présentaient à franchir qu'il fallait nécessairement passer à gué et sans trop mouiller les bagages.
Le désert se faisait de plus en plus profond; quelquefois, cependant, une ombre humaine semblait fuir au loin; si les détours de la route nous rapprochaient inopinément de l'un de ces spectres, j'éprouvais un dégoût soudain à la vue d'une tête gonflée, à peau luisante, dépourvue de cheveux, et de plaies repoussantes que trahissaient les déchirures de misérables haillons.
La malheureuse créature ne venait pas tendre sa main déformée; elle se sauvait, au contraire, mais pas si vite que Hans ne l'eût saluée du «saellvertu» habituel.
—«Spetelsk,» disait-il.
—Un lépreux!» répétait mon oncle.
Et ce mot seul produisait son effet répulsif. Cette horrible affection de la lèpre est assez commune en Islande; elle n'est pas contagieuse, mais héréditaire; aussi le mariage est-il interdit à ces misérables.
Ces apparitions n'étaient pas de nature è égayer le paysage qui devenait profondément triste; les dernières touffes d'herbes venaient mourir sous nos pieds. Pas un arbre, si ce n'est quelques bouquets de bouleaux nains semblables à des broussailles. Pas un animal, sinon quelques chevaux, de ceux que leur maître ne pouvait nourrir, et qui erraient sur les mornes plaines. Parfois un faucon planait dans les nuages gris et s'enfuyait à tire-d'aile vers les contrées du sud; je me laissais aller à la mélancolie de cette nature sauvage, et mes souvenirs me ramenaient à mon pays natal.
Il fallut bientôt traverser plusieurs petits fjörds sans importance, et enfin un véritable golfe; la marée, étale alors, nous permit de passer sans attendre et de gagner le hameau d'Alftanes, situé un mille au delà.
Le soir, après avoir coupé à gué deux rivières riches en truites et en brochets, l'Alfa et l'Heta, nous fûmes obligés de passer la nuit dans une masure abandonnée, digne d'être hantée par tous les lutins de la mythologie Scandinave; à coup sûr le génie du froid y avait élu domicile, et il fît des siennes pendant toute la nuit.
La journée suivante ne présenta aucun incident particulier. Toujours même sol marécageux, même uniformité, même physionomie triste. Le soir, nous avions franchi la moitié de la distance à parcourir, et nous couchions à «l'annexia» de Krösolbt.
Le 19 juin, pendant un mille environ, un terrain de lave s'étendit sous nos pieds; cette disposition du sol est appelée «hraun» dans le pays; la lave ridée à la surface affectait des formes de câbles tantôt allongés, tantôt roulés sur eux-mêmes; une immense coulée descendait des montagnes voisines, volcans actuellement éteints, mais dont ces débris attestaient la violence passée. Cependant quelques fumées de source chaudes rampaient ça et là.
Le temps nous manquait pour observer ces phénomènes; il fallait marcher; bientôt le sol marécageux reparut sous le pied de nos montures; de petits lacs l'entrecoupaient. Notre direction était alors à l'ouest; nous avions en effet tourné la grande baie de Faxa, et la double cime blanche du Sneffels se dressait dans les nuages à moins de cinq milles.
Les chevaux marchaient bien; les difficultés du sol ne les arrêtaient pas; pour mon compte, je commençais à devenir très fatigué; mon oncle demeurait ferme et droit comme au premier jour; je ne pouvais m'empêcher de l'admirer à l'égal du chasseur, qui regardait cette expédition comme une simple promenade.
Le samedi 20 juin, à six heures du soir, nous atteignions Büdir, bourgade située sur le bord de la mer, et le guide réclamait sa paye convenue. Mon oncle régla avec lui. Ce fut la famille même de Hans, c'est-à-dire ses oncles et cousins germains, qui nous offrit l'hospitalité; nous fûmes bien reçus, et sans abuser des bontés de ces braves gens, je me serais volontiers refait chez eux des fatigues du voyage. Mais mon oncle, qui n'avait rien à refaire, ne l'entendait pas ainsi, et le lendemain il fallut enfourcher de nouveau nos bonnes bêtes.
Le sol se ressentait du voisinage de la montagne dont les racines de granit sortaient de terre: comme celles d'un vieux chêne. Nous contournions l'immense base du volcan. Le professeur ne le perdait pas des yeux; il gesticulait, il semblait le prendre au défi et dire: «Voilà donc le géant que je vais dompter!» Enfin, après vingt-quatre heures de marche, les chevaux s'arrêtèrent d'eux-mêmes à la porte du presbytère de Stapi.
XIVStapi est une bourgade formée d'une trentaine de huttes, et bâtie en pleine lave sous les rayons du soleil réfléchis par le volcan. Elle s'étend au fond d'un petit fjord encaissé dans une muraille du plus étrange effet.
On sait que le basalte est une roche brune d'origine ignée; elle affecte des formes régulières qui surprennent par leur disposition. Ici la nature procède géométriquement et travaille à la manière humaine, comme si elle eût manié l'équerre, le compas et le fil à plomb. Si partout ailleurs elle fait de l'art avec ses grandes masses jetées sans ordre, ses cônes à peine ébauchés, ses pyramides imparfaites, avec la bizarre succession de ses lignes, ici, voulant donner l'exemple de la régularité, et précédant les architectes des premiers âges, elle a créé un ordre sévère, que ni les splendeurs de Babylone ni les merveilles de la Grèce n'ont jamais dépassé.
J'avais bien entendu parler de la Chaussée des Géants en Irlande, et de la Grotte de Fingal dans l'une des Hébrides, mais le spectacle d'une substruction basaltique ne s'était pas encore offert à mes regards.
Or, à Stapi, ce phénomène apparaissait dans toute sa beauté.
La muraille du fjörd, comme toute la côte de la presqu'île, se composait d'une suite de colonnes verticales, hautes de trente pieds. Ces fûts droits et d'une proportion pure supportaient une archivolte, faite de colonnes horizontales dont le surplombement formait demi-voûte au-dessus de la mer. A de certains intervalles, et sous cet impluvium naturel, l'oeil surprenait des ouvertures ogivales d'un dessin admirable, à travers lesquelles les flots du large venaient se précipiter en écumant. Quelques tronçons de basalte, arrachés par les fureurs de l'Océan, s'allongeaient sur le sol comme les débris d'un temple antique, ruines éternellement jeunes, sur lesquelles passaient les siècles sans les entamer.
Telle était la dernière étape de notre voyage terrestre. Hans nous y avait conduits avec intelligence, et je me rassurais un peu en songeant qu'il devait nous accompagner encore.
En arrivant à la porte de la maison du recteur, simple cabane basse, ni plus belle, ni plus confortable que ses voisines, je vis un homme en train de ferrer un cheval, le marteau à la main, et le tablier de cuir aux reins.
«Saelvertu,» lui dit le chasseur.
—«God dag,» répondit le maréchal-ferrant en parfait danois.
—«Kyrkoherde,» fit Hans en se retournant vers mon oncle.
—Le recteur! répéta ce dernier. Il paraît, Axel, que ce brave homme est le recteur.»
Pendant ce temps, le guide mettait le «kyrkoherde» au courant de la situation; celui-ci, suspendant son travail, poussa une sorte de cri en usage sans doute entre chevaux et maquignons, et aussitôt une grande mégère sortit de la cabane. Si elle ne mesurait pas six pieds de haut, il ne s'en fallait guère.
Je craignais qu'elle ne vînt offrir aux voyageurs le baiser islandais; mais il n'en fut rien, et même elle mit assez peu de bonne grâce à nous introduire dans sa maison.
La chambre des étrangers me parut être la plus mauvaise du presbytère, étroite, sale et infecte. Il fallut s'en contenter; le recteur ne semblait pas pratiquer l'hospitalité antique. Loin de là. Avant la fin du jour, je vis que nous avions affaire à un forgeron, à un pêcheur, à un chasseur, à un charpentier, et pas du tout à un ministre du Seigneur. Nous, étions en semaine, il est vrai. Peut-être se rattrapait-il le dimanche.
Je ne veux pas dire du mal de ces pauvres prêtres qui, après tout, sont fort misérables; ils reçoivent du gouvernement danois un traitement ridicule et perçoivent le quart de la dîme de leur paroisse, ce qui ne fait pas une somme de soixante marks courants[1]. De là, nécessité de travailler pour vivre; mais à pécher, à chasser, à ferrer des chevaux, on finit par prendre les manières, le ton et les moeurs des chasseurs, des pêcheurs et autres gens un peu rudes; le soir même je m'aperçus que notre hôte ne comptait pas la sobriété au nombre de ses vertus.
[1] Monnaie de Hambourg, 30 fr. environ.
Mon oncle comprit vite à quel genre d'homme il avait affaire; au lieu d'un brave et digne savant, il trouvait un paysan lourd et grossier; il résolut donc de commencer au plus tôt sa grande expédition et de quitter cette cure peu hospitalière. Il ne regardait pas à ses fatigues et résolut d'aller passer quelques jours dans la montagne.
Les préparatifs de départ furent donc faits dès le lendemain de notre arrivée à Stapi. Hans loua les services de trois Islandais pour remplacer les chevaux dans le transport des bagages; mais, une fois arrivés au fond du cratère, ces indigènes devaient rebrousser chemin et nous abandonner à nous-mêmes. Ce point fut parfaitement arrêté.
A cette occasion, mon oncle dut apprendre au chasseur que son intention était de poursuivre la reconnaissance du volcan jusqu'à ses dernières limites.
Hans se contenta d'incliner la tête. Aller là ou ailleurs, s'enfoncer dans les entrailles de son île ou la parcourir, il n'y voyait aucune différence; quant à moi, distrait jusqu'alors par les incidents du voyage, j'avais un peu oublié l'avenir, mais maintenant je sentais l'émotion me reprendre de plus belle. Qu'y faire? Si j'avais pu tenter de résister au professeur Lidenbrock, c'était à Hambourg et non au pied du Sneffels.
Une idée, entre toutes, me tracassait fort, idée effrayante et faite pour ébranler des nerfs moins sensibles que les miens.
«Voyons, me disais-je, nous allons gravir le Sneffels. Bien. Nous allons visiter son cratère. Bon. D'autres l'ont fait qui n'en sont pas morts. Mais ce n'est pas tout. S'il se présente un chemin pour descendre
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