Voyage au Centre de la Terre by Jules Verne (best novels of all time txt) 📖
- Author: Jules Verne
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Le directeur de ce curieux établissement, où sont entassées des merveilles qui permettraient de reconstruire l'histoire du pays avec ses vieilles armes de pierre, ses hanaps et ses bijoux, était un savant, l'ami du consul de Hambourg, M. le professeur Thomson.
Mon oncle avait pour lui une chaude lettre de recommandation. En général, un savant en reçoit assez mal un autre. Mais ici ce fut tout autrement. M. Thomson, en homme serviable, fit un cordial accueil au professeur Lidenbrock, et même à son neveu. Dire que notre secret fut gardé vis-à-vis de l'excellent directeur du Muséum, c'est à peine nécessaire. Nous voulions tout bonnement visiter l'Islande en amateurs désintéressés.
M. Thomson se mit entièrement à notre disposition, et nous courûmes les quais afin de chercher un navire en partance.
J'espérais que les moyens de transport manqueraient absolument; mais il n'en fut rien. Une petite goélette danoise, la Valkyrie, devait mettre à la voile le 2 juin pour Reykjawik. Le capitaine, M. Bjarne, se trouvait à bord; son futur passager, dans sa joie, lui serra les mains à les briser. Ce brave homme fut un peu étonné d'une pareille étreinte. Il trouvait tout simple d'aller en Islande, puisque c'était son métier. Mon oncle trouvait cela sublime. Le digne capitaine profita de cet enthousiasme pour nous faire payer double le passage sur son bâtiment. Mais nous n'y regardions pas de si près.
«Soyez à bord mardi, à sept heures du matin,» dit M. Bjarne après avoir empoché un nombre respectable de species-dollars.
Nous remerciâmes alors M. Thomson de ses bons soins, et nous revînmes à l'hôtel du Phoenix.
«Cela va bien! cela va très bien, répétait mon oncle. Quel heureux hasard d'avoir trouvé ce bâtiment prêt à partir! Maintenant déjeunons, et allons visiter la ville.»
Nous nous rendîmes à Kongens-Nye-Torw, place irrégulière où se trouve un poste avec deux innocents canons braqués qui ne font peur à personne. Tout près, au nº 5, il y avait une «restauration» française, tenue par un cuisinier nommé Vincent; nous y déjeunâmes suffisamment pour le prix modéré de quatre marks chacun[1].
[1] 2fr. 75c. environ.
Puis je pris un plaisir d'enfant à parcourir la ville; mon oncle se laissait promener; d'ailleurs il ne vit rien, ni l'insignifiant palais du roi, ni le joli pont du dix-septième siècle qui enjambe le canal devant le Muséum, ni cet immense cénotaphe de Torwaldsen, orné de peintures murales horribles et qui contient à l'intérieur les oeuvres de ce statuaire, ni, dans un assez beau parc, le château bonbonnière de Rosenborg, ni l'admirable édifice renaissance de la Bourse, ni son clocher fait avec les queues entrelacées de quatre dragons de bronze, ni les grands moulins des remparts, dont les vastes ailes s'enflaient comme les voiles d'un vaisseau au vent de la mer.
Quelles délicieuses promenades nous eussions faites, ma jolie Virlandaise et moi, du côté du port où les deux-ponts et les frégates dormaient paisiblement sous leur toiture rouge, sur les bords verdoyants du détroit, à travers ces ombrages touffus au sein desquels se cache la citadelle, dont les canons allongent leur gueule noirâtre entre les branches des sureaux et des saules!
Mais, hélas! elle était loin, ma pauvre Graüben, et pouvais-je espérer de la revoir jamais!
Cependant, si mon oncle ne remarqua rien de ces sites enchanteurs, il fut vivement frappé par la vue d'un certain clocher situé dans l'île d'Amak, qui forme le quartier sud-ouest de Copenhague.
Je reçus l'ordre de diriger nos pas de ce côté; je montai dans une petite embarcation à vapeur qui faisait le service des canaux, et, en quelques instants, elle accosta le quai de Dock-Yard.
Après avoir traversé quelques rues étroites où des galériens, vêtus de pantalons mi-partie jaunes et gris, travaillaient sous le bâton des argousins, nous arrivâmes devant Vor-Frelsers-Kirk. Cette église n'offrait rien de remarquable. Mais voici pourquoi son clocher assez élevé avait attiré l'attention du professeur: à partir de la plate-forme, un escalier extérieur circulait autour de sa flèche, et ses spirales se déroulaient en plein ciel.
«Montons, dit mon oncle.
—Mais, le vertige? répliquai-je.
—Raison de plus, il faut s'y habituer.
—Cependant…
—Viens, te dis-je, ne perdons pas de temps.» Il fallut obéir. Un gardien, qui demeurait de l'autre côté de la rue, nous remit une clef, et l'ascension commença.
Mon oncle me précédait d'un pas alerte. Je le suivais non sans terreur, car la tête me tournait avec une déplorable facilité. Je n'avais ni l'aplomb des aigles ni l'insensibilité de leurs nerfs.
Tant que nous fûmes emprisonnés dans la vis intérieure, tout alla bien; mais après cent cinquante marches l'air vint me frapper au visage; nous étions parvenus à la plate-forme du clocher. Là commençait l'escalier aérien, gardé par une frêle rampe, et dont les marches, de plus en plus étroites, semblaient monter vers l'infini.
«Je ne pourrai jamais! m'écriai-je.
—Serais-tu poltron, par hasard? Monte!» répondit impitoyablement le professeur.
Force fut de le suivre en me cramponnant. Le grand air m'étourdissait; je sentais le clocher osciller sous les rafales; mes jambes se dérobaient; je grimpai bientôt sur les genoux, puis sur le ventre; je fermais les yeux; j'éprouvais le mal de l'espace.
Enfin, mon oncle me tirant par le collet, j'arrivai près de la boule.
«Regarde, me dit-il, et regarde bien! il faut prendre des leçons d'abîme!»
Je dus ouvrir les yeux. J'apercevais les maisons aplaties et comme écrasées par une chute, au milieu du brouillard des fumées. Au-dessus de ma tête passaient des nuages échevelés, et, par un renversement d'optique, ils me paraissaient immobiles, tandis que le clocher, la boule, moi, nous étions entraînés avec une fantastique vitesse. Au loin, d'un côté s'étendait la campagne verdoyante; de l'autre étincelait la mer sous un faisceau de rayons. Le Sund se déroulait à la pointe d'Elseneur, avec quelques voiles blanches, véritables ailes de goéland, et dans la brume de l'est ondulaient les côtes à peine estompées de la Suède. Toute cette immensité tourbillonnait à mes regards.
Néanmoins il fallut me lever, me tenir droit et regarder. Ma première leçon de vertige dura une heure. Quand enfin il me fut permis de redescendre et de toucher du pied le pavé solide des rues, j'étais courbaturé.
«Nous recommencerons demain,» dit mon professeur.
Et en effet, pendant cinq jours, je repris cet exercice vertigineux, et, bon gré mal gré, je fis des progrès sensibles dans l'art «des hautes contemplations».
IXLe jour du départ arriva. La veille, le complaisant M. Thomson nous avait apporté des lettres de recommandations pressantes pour le comte Trampe, gouverneur de l'Islande, M. Pietursson, le coadjuteur de l'évêque, et M. Finsen, maire de Reykjawik. En retour, mon oncle lui octroya les plus chaleureuses poignées de main.
Le 2, à six heures du matin, nos précieux bagages étaient rendus à bord de la Valkyrie. Le capitaine nous conduisit à des cabines assez étroites et disposées sous une espèce de rouf.
«Avons-nous bon vent? demanda mon oncle.
—Excellent, répondit le capitaine Bjarne. Un vent de sud-est.
Nous allons sortir du Sund grand largue et toutes voiles dehors.»
Quelques instants plus tard, la goélette, sous sa misaine, sa brigantine, son hunier et son perroquet, appareilla et donna à pleine toile dans le détroit. Une heure après la capitale du Danemark semblait s'enfoncer dans les flots éloignés et la Valkyrie rasait la côte d'Elseneur. Dans la disposition nerveuse où je me trouvais, je m'attendais à voir l'ombre d'Hamlet errant sur la terrasse légendaire.
«Sublime insensé! disais-je, tu nous approuverais sans doute! tu nous suivrais peut-être pour venir au centre du globe chercher une solution à ton doute éternel!»
Mais rien ne parut sur les antiques murailles; le château est, d'ailleurs, beaucoup plus jeune que l'héroïque prince de Danemark. Il sert maintenant de loge somptueuse au portier de ce détroit du Sund où passent chaque année quinze mille navires de toutes les nations.
Le château de Krongborg disparut bientôt dans la brume, ainsi que la tour d'Helsinborg, élevée sur la rive suédoise, et la goélette s'inclina légèrement sous les brises du Cattégat.
La Valkyrie était fine voilière, mais avec un navire à voiles on ne sait jamais trop sur quoi compter. Elle transportait à Reykjawik du charbon, des ustensiles de ménage, de la poterie, des vêtements de laine et une cargaison de blé; cinq hommes d'équipage, tous Danois, suffisaient à la manoeuvrer.
«Quelle sera la durée de la traversée? demanda mon oncle au capitaine.
—Une dizaine de jours, répondit ce dernier, si nous ne rencontrons pas trop de grains de nord-ouest par le travers des Feroë.
—Mais, enfin, vous n'êtes pas sujet à éprouver des retards considérables?
—Non, monsieur Lidenbrock; soyez tranquille, nous arriverons.»
Vers le soir la goélette doubla le cap Skagen à la pointe nord du Danemark, traversa pendant la nuit le Skager-Rak, rangea l'extrémité de la Norvège par le travers du cap Lindness et donna dans la mer du Nord.
Deux jours après, nous avions connaissance des côtes d'Ecosse à la hauteur de Peterheade, et la Valkyrie se dirigea vers les Feroë en passant entre les Orcades et les Seethland.
Bientôt notre goélette fut battue par les vagues de l'Atlantique; elle dut louvoyer contre le vent du nord et n'atteignit pas sans peine les Feroë. Le 3, le capitaine reconnut Myganness, la plus orientale de ces îles, et, à partir de ce moment, il marcha droit au cap Portland, situé sur la côte méridionale de l'Islande.
La traversée n'offrit aucun incident remarquable. Je supportai assez bien les épreuves de la mer; mon oncle, à son grand dépit, et à sa honte plus grande encore, ne cessa pas d'être malade.
Il ne put donc entreprendre le capitaine Bjarne sur la question du Sneffels, sur les moyens de communication, sur les facilités de transport; il dut remettra ses explications à son arrivée et passa tout son temps étendu dans sa cabine, dont les cloisons craquaient par les grands coups de tangage. Il faut l'avouer, il méritait un peu son sort.
Le 11, nous relevâmes le cap Portland; le temps, clair alors, permit d'apercevoir le Myrdals Yocul, qui le domine. Le cap se compose d'un gros morne à pentes roides, et planté tout seul sur la plage.
La Valkyrie se tint à une distance raisonnable des côtes, en les prolongeant vers l'ouest, au milieu de nombreux troupeaux de baleines et de requins. Bientôt apparut un immense rocher percé à jour, au travers duquel la mer écumeuse donnait avec furie. Les îlots de Westman semblèrent sortir de l'Océan, comme une semée de rocs sur la plaine liquide. A partir de ce moment, la goélette prit du champ pour tourner à bonne distance le cap Reykjaness, qui ferme l'angle occidental de l'Islande.
La mer, très forte, empêchait mon oncle de monter sur le pont pour admirer ces côtes déchiquetées et battues par les vents du sud-ouest.
Quarante-huit heures après, en sortant d'une tempête qui força la goélette de fuir à sec de toile, on releva dans l'est la balise de la pointe de Skagen, dont les roches dangereuses se prolongent à une grande distance sous les flots. Un pilote islandais vint à bord, et, trois heures plus tard, la Valkyrie mouillait devant Reykjawik, dans la baie de Faxa.
Le professeur sortit enfin de sa cabine, un peu pâle, un peu défait, mais toujours enthousiaste, et avec un regard de satisfaction dans les yeux.
La population de la ville, singulièrement intéressée par l'arrivée d'un navire dans lequel chacun a quelque chose à prendre, se groupait sur le quai.
Mon oncle avait hâte d'abandonner sa prison flottante, pour ne pas dire son hôpital. Mais avant de quitter le pont de la goélette, il m'entraîna à l'avant, et là, du doigt, il me montra, à la partie septentrionale de la baie, une haute montagne à deux pointes, un double cône couvert de neiges éternelles.
«Le Sneffels! s'écria-t-il, le Sneffels!»
Puis, après m'avoir recommandé du geste un silence absolu, il descendit dans le canot qui l'attendait. Je le suivis, et bientôt nous foulions du pied le sol de l'Islande.
Tout d'abord apparut un homme de bonne figure et revêtu d'un costume de général. Ce n'était cependant qu'un simple magistrat, le gouverneur de l'île, M. le baron Trampe en personne. Le professeur reconnut à qui il avait affaire. Il remit au gouverneur ses lettres de Copenhague, et il s'établit en danois une courte conversation à laquelle je demeurai absolument étranger, et pour cause.
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