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Read books online » Fiction » Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 2 by Jules Verne (love letters to the dead txt) 📖

Book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 2 by Jules Verne (love letters to the dead txt) 📖». Author Jules Verne



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un cri et s'élança au-dehors. Nous nous étions précipités à sa suite.

Quelle scène ! Le malheureux, saisi par le tentacule et collĂ© Ă  ses ventouses, Ă©tait balancĂ© dans l'air au caprice de cette Ă©norme trompe. Il râlait, il Ă©touffait, il criait : A moi ! Ă  moi ! Ces mots, prononcĂ©s en français, me causèrent une profonde stupeur ! J'avais donc un compatriote Ă  bord, plusieurs, peut-ĂŞtre ! Cet appel dĂ©chirant, je l'entendrai toute ma vie !

L'infortunĂ© Ă©tait perdu. Qui pouvait l'arracher Ă  cette puissante Ă©treinte ? Cependant le capitaine Nemo s'Ă©tait prĂ©cipitĂ© sur le poulpe, et, d'un coup de hache, il lui avait encore abattu un bras. Son second luttait avec rage contre d'autres monstres qui rampaient sur les flancs du Nautilus. L'Ă©quipage se battait Ă  coups de hache. Le Canadien, Conseil et moi, nous enfoncions nos armes dans ces masses charnues. Une violente odeur de musc pĂ©nĂ©trait l'atmosphère. C'Ă©tait horrible.

Un instant, je crus que le malheureux, enlacĂ© par le poulpe, serait arrachĂ© Ă  sa puissante succion. Sept bras sur huit avaient Ă©tĂ© coupĂ©s. Un seul, brandissant la victime comme une plume, se tordait dans l'air. Mais au moment oĂą le capitaine Nemo et son second se prĂ©cipitaient sur lui, l'animal lança une colonne d'un liquide noirâtre, sĂ©crĂ©tĂ© par une bourse situĂ©e dans son abdomen. Nous en fĂ»mes aveuglĂ©s. Quand ce nuage se fut dissipĂ©, le calmar avait disparu, et avec lui mon infortunĂ© compatriote !

Quelle rage nous poussa alors contre ces monstres ! On ne se possĂ©dait plus. Dix ou douze poulpes avaient envahi la plate-forme et les flancs du Nautilus. Nous roulions pĂŞle-mĂŞle au milieu de ces tronçons de serpents qui tressautaient sur la plate-forme dans des flots de sang et d'encre noire. Il semblait que ces visqueux tentacules renaissaient comme les tĂŞtes de l'hydre. Le harpon de Ned Land, Ă  chaque coup, se plongeait dans les yeux glauques des calmars et les crevait. Mais mon audacieux compagnon fut soudain renversĂ© par les tentacules d'un monstre qu'il n'avait pu Ă©viter.

Ah ! comment mon coeur ne s'est-il pas brisĂ© d'Ă©motion et d'horreur ! Le formidable bec du calmar s'Ă©tait ouvert sur Ned Land. Ce malheureux allait ĂŞtre coupĂ© en deux. Je me prĂ©cipitai Ă  son secours. Mais le capitaine Nemo m'avait devancĂ©. Sa hache disparut entre les deux Ă©normes mandibules, et miraculeusement sauvĂ©, le Canadien, se relevant, plongea son harpon tout entier jusqu'au triple coeur du poulpe.

« Je me devais cette revanche ! Â» dit le capitaine Nemo au Canadien.

Ned s'inclina sans lui répondre.

Ce combat avait duré un quart d'heure. Les monstres vaincus, mutilés, frappés à mort, nous laissèrent enfin la place et disparurent sous les flots.

Le capitaine Nemo, rouge de sang, immobile près du fanal, regardait la mer qui avait englouti l'un de ses compagnons, et de grosses larmes coulaient de ses yeux.

XIX LE GULF-STREAM

Cette terrible scène du 20 avril, aucun de nous ne pourra jamais l'oublier. Je l'ai écrite sous l'impression d'une émotion violente. Depuis, j'en ai revu le récit. Je l'ai lu à Conseil et au Canadien. Ils l'ont trouvé exact comme fait, mais insuffisant comme effet. Pour peindre de pareils tableaux, il faudrait la plume du plus illustre de nos poètes, l'auteur des Travailleurs de la Mer.

J'ai dit que le capitaine Nemo pleurait en regardant les flots. Sa douleur fut immense. C'Ă©tait le second compagnon qu'il perdait depuis notre arrivĂ©e Ă  bord. Et quelle mort ! Cet ami, Ă©crasĂ©, Ă©touffĂ©, brisĂ© par le formidable bras d'un poulpe, broyĂ© sous ses mandibules de fer, ne devait pas reposer avec ses compagnons dans les paisibles eaux du cimetière de corail !

Pour moi, au milieu de cette lutte, c'Ă©tait ce cri de dĂ©sespoir poussĂ© par l'infortunĂ© qui m'avait dĂ©chirĂ© le coeur. Ce pauvre Français, oubliant son langage de convention, s'Ă©tait repris Ă  parler la langue de son pays et de sa mère, pour jeter un suprĂŞme appel ! Parmi cet Ă©quipage du Nautilus, associĂ© de corps et d'âme au capitaine Nemo, fuyant comme lui le contact des hommes, j'avais donc un compatriote ! Était-il seul Ă  reprĂ©senter la France dans cette mystĂ©rieuse association, Ă©videmment composĂ©e d'individus de nationalitĂ©s diverses ? C'Ă©tait encore un de ces insolubles problèmes qui se dressaient sans cesse devant mon esprit !

Le capitaine Nemo rentra dans sa chambre, et je ne le vis plus pendant quelque temps. Mais qu'il devait ĂŞtre triste, dĂ©sespĂ©rĂ©, irrĂ©solu, si j'en jugeais par ce navire dont il Ă©tait l'âme et qui recevait toutes ses impressions ! Le Nautilus ne gardait plus de direction dĂ©terminĂ©e. Il allait, venait, flottait comme un cadavre au grĂ© des lames. Son hĂ©lice avait Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©e, et cependant, il s'en servait Ă  peine. Il naviguait au hasard. Il ne pouvait s'arracher du théâtre de sa dernière lutte, de cette mer qui avait dĂ©vorĂ© l'un des siens !

Dix jours se passèrent ainsi. Ce fut le 1er mai seulement que le Nautilus reprit franchement sa route au nord, après avoir eu connaissance des Lucayes à l'ouvert du canal de Bahama. Nous suivions alors le courant du plus grand fleuve de la mer, qui a ses rives, ses poissons et sa température propres. J'ai nommé le Gulf-Stream.

C'est un fleuve, en effet, qui coule librement au milieu de l'Atlantique, et dont les eaux ne se mélangent pas aux eaux océaniennes. C'est un fleuve salé, plus salé que la mer ambiante. Sa profondeur moyenne est de trois mille pieds, sa largeur moyenne de soixante milles. En de certains endroits, son courant marche avec une vitesse de quatre kilomètres à l'heure. L'invariable volume de ses eaux est plus considérable que celui de tous les fleuves du globe.

La véritable source du Gulf-Stream, reconnue par le commandant Maury, son point de départ, si l'on veut, est situé dans le golfe de Gascogne. Là, ses eaux, encore faibles de température et de couleur, commencent à se former. Il descend au sud, longe l'Afrique équatoriale, échauffe ses flots aux rayons de la zone torride, traverse l'Atlantique, atteint le cap San-Roque sur la côte brésilienne, et se bifurque en deux branches dont l'une va se saturer encore des chaudes molécules de la mer des Antilles. Alors, le Gulf-Stream, chargé de rétablir l'équilibre entre les températures et de mêler les eaux des tropiques aux eaux boréales, commence son rôle de pondérateur. Chauffé à blanc dans le golfe du Mexique, il s'élève au nord sur les côtes américaines, s'avance jusqu'à Terre-Neuve, dévie sous la poussée du courant froid du détroit de Davis, reprend la route de l'Océan en suivant sur un des grands cercles du globe la ligne loxodromique, se divise en deux bras vers le quarante-troisième degré, dont l'un, aidé par l'alizé du nord-est, revient au Golfe de Gascogne et aux Açores, et dont l'autre, après avoir attiédi les rivages de l'Irlande et de la Norvège, va jusqu'au-delà du Spitzberg, où sa température tombe à quatre degrés, former la mer libre du pôle.

C'est sur ce fleuve de l'Océan que le Nautilus naviguait alors. A sa sortie du canal de Bahama, sur quatorze lieues de large, et sur trois cent cinquante mètres de profondeur, le Gulf-Stream marche à raison de huit kilomètres à l'heure. Cette rapidité décroît régulièrement à mesure qu'il s'avance vers le nord, et il faut souhaiter que cette régularité persiste, car, si, comme on a cru le remarquer, sa vitesse et sa direction viennent à se modifier, les climats européens seront soumis à des perturbations dont on ne saurait calculer les conséquences.

Vers midi, j'étais sur la plate-forme avec Conseil. Je lui faisais connaître les particularités relatives au Gulf-Stream. Quand mon explication fut terminée, je l'invitai a plonger ses mains dans le courant.

Conseil obéit, et fut très étonné de n'éprouver aucune sensation de chaud ni de froid.

« Cela vient, lui dis-je, de ce que la tempĂ©rature des eaux du Gulf-Stream, en sortant du golfe du Mexique, est peu diffĂ©rente de celle du sang. Ce Gulf-Stream est un vaste calorifère qui permet aux cĂ´tes d'Europe de se parer d'une Ă©ternelle verdure. Et, s'il faut en croire Maury, la chaleur de ce courant, totalement utilisĂ©e, fournirait assez de calorique pour tenir en fusion un fleuve de fer fondu aussi grand que l'Amazone ou le Missouri. Â»

En ce moment, la vitesse du Gulf-Stream était de deux mètres vingt-cinq par seconde. Son courant est tellement distinct de la mer ambiante, que ses eaux comprimées font saillie sur l'Océan et qu'un dénivellement s'opère entre elles et les eaux froides. Sombres d'ailleurs et très riches en matières salines, elles tranchent par leur pur indigo sur les flots verts qui les environnent. Telle est même la netteté de leur ligne de démarcation, que le Nautilus, à la hauteur des Carolines, trancha de son éperon les flots du Gulf-Stream, tandis que son hélice battait encore ceux de l'Océan.

Ce courant entraĂ®nait avec lui tout un monde d'ĂŞtres vivants. Les argonautes, si communs dans la MĂ©diterranĂ©e, y voyageaient par troupes nombreuses. Parmi les cartilagineux, les plus remarquables Ă©taient des raies dont la queue très dĂ©liĂ©e formait Ă  peu près le tiers du corps, et qui figuraient de vastes losanges longs de vingt-cinq pieds ; puis, de petits squales d'un mètre, Ă  tĂŞte grande, Ă  museau court et arrondi, Ă  dents pointues disposĂ©es sur plusieurs rangs, et dont le corps paraissait couvert d'Ă©cailles.

Parmi les poissons osseux, je notai des labres-grisons particuliers à ces mers, des spares-synagres dont l'iris brillait comme un feu, des sciènes longues d'un mètre, à large gueule hérissée de petites dents, qui faisaient entendre un léger cri des centronotes-nègres dont j'ai déjà parlé, des coriphènes bleus, relevés d'or et d'argent, des perroquets, vrais arcs-en-ciel de l'Océan, qui peuvent rivaliser de couleur avec les plus beaux oiseaux des tropiques des blémies-bosquiens à tête triangulaire, des rhombes bleuâtres dépourvus d'écailles, des batrachoïdes recouverts d'une bande jaune et transversale qui figure un t grec, des fourmillements de petits gohies-hoc pointillés de taches brunes, des diptérodons à tête argentée et à queue jaune, divers échantillons de salmones, des mugilomores, sveltes de taille, brillant d'un éclat doux, que Lacépède a consacrés à l'aimable compagne de sa vie, enfin un beau poisson, le chevalier-américain, qui, décoré de tous les ordres et chamarré de tous les rubans, fréquente les rivages de cette grande nation où les rubans et les ordres sont si médiocrement estimés.

J'ajouterai que, pendant la nuit, les eaux phosphorescentes du Gulf-Stream rivalisaient avec l'éclat électrique de notre fanal, surtout par ces temps orageux qui nous menaçaient fréquemment.

Le 8 mai, nous étions encore en travers du cap Hatteras, à la hauteur de la Caroline du Nord. La largeur du Gulf-Stream est là de soixante-quinze milles, et sa profondeur de deux cent dix mètres. Le Nautilus continuait d'errer à l'aventure. Toute surveillance semblait bannie du bord. Je conviendrai que dans ces conditions, une évasion pouvait réussir. En effet, les rivages habités offraient partout de faciles refuges. La mer était incessamment sillonnée de nombreux steamers qui font le service entre New York ou Boston et le golfe du Mexique, et nuit et jour parcourue par ces petites goëlettes chargées du cabotage sur les divers points de la côte américaine. On pouvait espérer d'être recueilli. C'était donc une occasion favorable, malgré les trente milles qui séparaient le Nautilus des côtes de l'Union.

Mais une circonstance fâcheuse contrariait absolument les projets du Canadien. Le temps était fort mauvais. Nous approchions de ces parages où les tempêtes sont fréquentes, de cette patrie des trombes et des cyclones, précisément engendrés par le courant du Gulf-Stream. Affronter une mer souvent démontée sur un frêle canot, c'était courir à une perte certaine. Ned Land en convenait lui-même. Aussi rongeait-il son frein, pris d'une furieuse nostalgie que la fuite seule eût pu guérir.

« Monsieur, me dit-il ce jour-lĂ , il faut que cela finisse. Je veux en avoir le coeur net. Votre Nemo s'Ă©carte des terres et remonte vers le nord. Mais je vous le dĂ©clare j'ai assez du pĂ´le Sud, et je ne le suivrai pas au pĂ´le Nord.

— Que faire, Ned, puisqu'une Ă©vasion est impraticable en ce moment ?

— J'en reviens à mon idée. Il faut parler au capitaine. Vous n'avez rien dit, quand nous étions dans les mers de votre pays. Je veux parler, maintenant que nous sommes dans les mers du mien. Quand je songe qu'avant quelques jours, le Nautilus va se trouver

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