Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 2 by Jules Verne (love letters to the dead txt) 📖
- Author: Jules Verne
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VINGT MILLE LIEUES
SOUS
LES MERS
ILLUSTRE DE
111 DESSINS PAR DE NEUVILLI
BIBLIOTHEQUE
D'EDUCATION ET DE RECREATION
J. HETZEL ET Cie, 18 RUE JACOB
PARIS
DEUXIÈME PARTIE I L'océan Indien II Une nouvelle proposition du capitaine Nemo III Une perle de dix millions IV La mer Rouge V Arabian-Tunnel VI L'Archipel grec VII La Méditerranée en quarante-huit heures VIII La baie de Vigo IX Un continent disparu X Les houillères sous-marines XI La mer de Sargasses XII Cachalots et baleines XIII La banquise XIV Le pôle Sud XV Accident ou incident ? XVI Faute d'air XVII Du cap Horn à l'Amazone XVIII Les poulpes XIX Le Gulf-Stream XX Par 47°24' de latitude et de 17°28' de longitude XXI Une hécatombe XXII Les dernières paroles du capitaine Nemo XXIII Conclusion VINGT MILLE LIEUES SOUS LES MERS DEUXIÈME PARTIE I L'OCÉAN INDIEN
Ici commence la seconde partie de ce voyage sous les mers. La première s'est terminée sur cette émouvante scène du cimetière de corail qui a laissé dans mon esprit une impression profonde. Ainsi donc, au sein de cette mer immense, la vie du capitaine Nemo se déroulait tout entière, et il n'était pas jusqu'à sa tombe qu'il n'eût préparée dans le plus impénétrable de ses abîmes. Là, pas un des monstres de l'Océan ne viendrait troubler le dernier sommeil de ces hôtes du Nautilus, de ces amis, rivés les uns aux autres, dans la mort aussi bien que dans la vie ! « Nul homme, non plus ! » avait ajouté le capitaine.
Toujours cette même défiance, farouche, implacable, envers les sociétés humaines !
Pour moi, je ne me contentais plus des hypothèses qui satisfaisaient Conseil. Ce digne garçon persistait à ne voir dans le commandant du Nautilus qu'un de ces savants méconnus qui rendent à l'humanité mépris pour indifférence. C'était encore pour lui un génie incompris qui, las des déceptions de la terre, avait dû se réfugier dans cet inaccessible milieu où ses instincts s'exerçaient librement. Mais, à mon avis, cette hypothèse n'expliquait qu'un des cotes du capitaine Nemo.
En effet, le mystère de cette dernière nuit pendant laquelle nous avions été enchaînés dans la prison et le sommeil, la précaution si violemment prise par le capitaine d'arracher de mes yeux la lunette prête à parcourir l'horizon, la blessure mortelle de cet homme due à un choc inexplicable du Nautilus, tout cela me poussait dans une voie nouvelle. Non ! le capitaine Nemo ne se contentait pas de fuir les hommes ! Son formidable appareil servait non seulement ses instincts de liberté, mais peut-être aussi les intérêts de je ne sais quelles terribles représailles.
En ce moment, rien n'est évident pour moi, je n'entrevois encore dans ces ténèbres que des lueurs, et je dois me borner à écrire, pour ainsi dire, sous la dictée des événements.
D'ailleurs rien ne nous lie au capitaine Nemo. Il sait que s'échapper du Nautilus est impossible. Nous ne sommes pas même prisonniers sur parole. Aucun engagement d'honneur ne nous enchaîne. Nous ne sommes que des captifs, que des prisonniers déguisés sous le nom d'hôtes par un semblant de courtoisie. Toutefois, Ned Land n'a pas renoncé à l'espoir de recouvrer sa liberté. Il est certain qu'il profitera de la première occasion que le hasard lui offrira. Je ferai comme lui sans doute. Et cependant, ce ne sera pas sans une sorte de regret que j'emporterai ce que la générosité du capitaine nous aura laissé pénétrer des mystères du Nautilus ! Car enfin, faut-il haïr cet homme ou l'admirer ? Est-ce une victime ou un bourreau ? Et puis, pour être franc, je voudrais, avant de l'abandonner à jamais, je voudrais avoir accompli ce tour du monde sous-marin dont les débuts sont si magnifiques. Je voudrais avoir observé la complète série des merveilles entassées sous les mers du globe. Je voudrais avoir vu ce que nul homme n'a vu encore, quand je devrais payer de ma vie cet insatiable besoin d'apprendre ! Qu'ai-je découvert jusqu'ici ? Rien, ou presque rien, puisque nous n'avons encore parcouru que six mille lieues à travers le Pacifique !
Pourtant je sais bien que le Nautilus se rapproche des terres habitées, et que, si quelque chance de salut s'offre à nous, il serait cruel de sacrifier mes compagnons à ma passion pour l'inconnu. Il faudra les suivre, peut-être même les guider. Mais cette occasion se présentera-t-elle jamais ? L'homme privé par la force de son libre arbitre la désire, cette occasion, mais le savant, le curieux, la redoute.
Ce jour-là, 21 janvier 1868, à midi, le second vint prendre la hauteur du soleil. Je montai sur la plate-forme, j'allumai un cigare, et je suivis l'opération. Il me parut évident que cet homme ne comprenait pas le français, car plusieurs fois je fis à voix haute des réflexions qui auraient dû lui arracher quelque signe involontaire d'attention, s'il les eût comprises, mais il resta impassible et muet.
Pendant qu'il observait au moyen du sextant, un des matelots du Nautilus cet homme vigoureux qui nous avait accompagnés lors de notre première excursion sous-marine à l'île Crespo vint nettoyer les vitres du fanal. J'examinai alors l'installation de cet appareil dont la puissance était centuplée par des anneaux lenticulaires disposés comme ceux des phares, et qui maintenaient sa lumière dans le plan utile. La lampe électrique était combinée de manière à donner tout son pouvoir éclairant. Sa lumière, en effet, se produisait dans le vide, ce qui assurait à la fois sa régularité et son intensité. Ce vide économisait aussi les pointes de graphite entre lesquelles se développe l'arc lumineux. Économie importante pour le capitaine Nemo, qui n'aurait pu les renouveler aisément. Mais, dans ces conditions, leur usure était presque insensible.
Lorsque le Nautilus se prépara à reprendre sa marche sous-marine, je redescendis au salon. Les panneaux se refermèrent, et la route fut donnée directement à l'ouest.
Nous sillonnions alors les flots de l'océan Indien, vaste plaine liquide d'une contenance de cinq cent cinquante millions d'hectares, et dont les eaux sont si transparentes qu'elles donnent le vertige à qui se penche à leur surface. Le Nautilus y flottait généralement entre cent et deux cents mètres de profondeur. Ce fut ainsi pendant quelques jours. A tout autre que moi, pris d'un immense amour de la mer, les heures eussent sans doute paru longues et monotones ; mais ces promenades quotidiennes sur la plate-forme où je me retrempais dans l'air vivifiant de l'Océan, le spectacle de ces riches eaux à travers les vitres du salon, la lecture des livres de la bibliothèque, la rédaction de mes mémoires, employaient tout mon temps et ne me laissaient pas un moment de lassitude ou d'ennui.
Notre santé à tous se maintenait dans un état très satisfaisant. Le régime du bord nous convenait parfaitement, et pour mon compte, je me serais bien passé des variantes que Ned Land, par esprit de protestation, s'ingéniait à y apporter. De plus, dans cette température constante, il n'y avait pas même un rhume à craindre. D'ailleurs, ce madréporaire Dendrophyllée, connu en Provence sous le nom de « Fenouil de mer », et dont il existait une certaine réserve à bord, eût fourni avec la chair fondante de ses polypes une pâte excellente contre la toux.
Pendant quelques jours, nous vîmes une grande quantité d'oiseaux aquatiques, palmipèdes, mouettes ou goélands. Quelques-uns furent adroitement tués, et, préparés d'une certaine façon, ils fournirent un gibier d'eau très acceptable. Parmi les grands voiliers, emportés à de longues distances de toutes terres, et qui se reposent sur les flots des fatigues du vol, j'aperçus de magnifiques albatros au cri discordant comme un braiement d'âne, oiseaux qui appartiennent à la famille des longipennes. La famille des totipalmes était représentée par des frégates rapides qui pêchaient prestement les poissons de la surface, et par de nombreux phaétons ou paille-en-queue, entre autres, ce phaéton à brins rouges, gros comme un pigeon, et dont le plumage blanc est nuancé de tons roses qui font valoir la teinte noire des ailes.
Les filets du Nautilus rapportèrent plusieurs sortes de tortues marines, du genre caret, à dos bombé, et dont l'écaille est très estimée. Ces reptiles, qui plongent facilement, peuvent se maintenir longtemps sous l'eau en fermant la soupape charnue située à l'orifice externe de leur canal nasal. Quelques-uns de ces carets, lorsqu'on les prit, dormaient encore dans leur carapace, à l'abri des animaux marins. La chair de ces tortues était généralement médiocre, mais leurs oeufs formaient un régal excellent.
Quant aux poissons, ils provoquaient toujours notre admiration, quand nous surprenions à travers les panneaux ouverts les secrets de leur vie aquatique. Je remarquai plusieurs espèces qu'il ne m'avait pas été donné d'observer jusqu'alors.
Je citerai principalement des ostracions particuliers à la mer Rouge, à la mer des Indes et à cette partie de l'Océan qui baigne les côtes de l'Amérique équinoxiale. Ces poissons, comme les tortues, les tatous, les oursins, les crustacés, sont protégés par une cuirasse qui n'est ni crétacée, ni pierreuse, mais véritablement osseuse. Tantôt, elle affecte la forme d'un solide triangulaire, tantôt la forme d'un solide quadrangulaire. Parmi les triangulaires, j'en notai quelques-uns d'une longueur d'un demi-décimètre, d'une chair salubre, d'un goût exquis, bruns à la queue, jaunes aux nageoires, et dont je recommande l'acclimatation même dans les eaux douces, auxquelles d'ailleurs un certain nombre de poissons de mer s'accoutument aisément. Je citerai aussi des ostracions quadrangulaires, surmontés sur le dos de quatre gros tubercules : des ostracions mouchetés de points blancs sous la partie inférieure du corps, qui s'apprivoisent comme des oiseaux ; des trigones, pourvus d'aiguillons formés par la prolongation de leur croûte osseuse, et auxquels leur singulier grognement a valu le surnom de « cochons de mer » ; puis des dromadaires à grosses bosses en forme de cône, dont la chair est dure et coriace.
Je relève encore sur les notes quotidiennes tenues par maître Conseil certains poissons du genre tétrodons, particuliers à ces mers, des spenglériens au dos rouge, à la poitrine blanche, qui se distinguent par trois rangées longitudinales de filaments, et des électriques, longs de sept pouces, parés des plus vives couleurs. Puis, comme échantillons d'autres genres, des ovoïdes semblables à un oeuf d'un brun noir, sillonnés de bandelettes blanches et dépourvus de queue ; des diodons, véritables porcs-épics de la mer, munis d'aiguillons et pouvant se gonfler de manière à former une pelote hérissée de dards ; des hippocampes communs à tous les océans ; des pégases volants, à museau allongé, auxquels leurs nageoires pectorales, très étendues et disposées en forme d'ailes, permettent sinon de voler, du moins de s'élancer dans les airs ; des pigeons spatulés, dont la queue est couverte de nombreux anneaux écailleux ; des macrognathes à longue mâchoire, excellents poissons longs de vingt-cinq centimètres et brillants des plus agréables couleurs ; des calliomores livides, dont la tête est rugueuse ; des myriades de blennies-sauteurs, rayés de noir, aux longues nageoires pectorales, glissant à la surface des eaux avec une prodigieuse vélocité ; de délicieux vélifères, qui peuvent hisser leurs nageoires comme autant de voiles déployées aux courants favorables ; des kurtes splendides, auxquels la nature a prodigué le jaune, le bleu céleste, l'argent et l'or ; des trichoptères, dont les ailes sont formées de filaments ; des cottes, toujours maculées de limon, qui produisent un certain bruissement ; des trygles, dont le foie est considéré comme poison ; des bodians, qui portent sur les yeux une oeillère mobile ; enfin des soufflets, au museau long et tubuleux, véritables gobe-mouches de l'Océan, armés d'un fusil que n'ont prévu ni les Chassepot ni les Remington, et qui tuent les insectes en les frappant d'une simple goutte d'eau.
Dans le quatre-vingt-neuvième genre des poissons classés par Lacépède, qui appartient à la seconde sous-classe des osseux, caractérisés par un opercule et une membrane bronchiale, je remarquai la scorpène, dont la tête est garnie d'aiguillons et qui ne possède qu'une seule nageoire dorsale ; ces animaux sont revêtus ou privés de petites écailles, suivant le sous-genre auquel ils appartiennent. Le second sous-genre nous donna des échantillons de dydactyles longs de trois à quatre décimètres, rayés de jaune, mais dont la tête est d'un aspect fantastique. Quant au premier sous-genre, il fournit plusieurs
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