Vingt mille Lieues Sous Les Mers â Complete by Jules Verne (best finance books of all time .TXT) đ
- Author: Jules Verne
Book online «Vingt mille Lieues Sous Les Mers â Complete by Jules Verne (best finance books of all time .TXT) đ». Author Jules Verne
L'ingénieur fut encore une fois appelé.
« Vous avez atteint votre maximum de pression ? Lui demanda le commandant.
â Oui, monsieur, rĂ©pondit l'ingĂ©nieur.
â Et vos soupapes sont chargĂ©es ?...
â A six atmosphĂšres et demie.
â Chargez-les Ă dix atmosphĂšres. »
Voilà un ordre américain s'il en fut. On n'eût pas mieux fait sur le Mississippi pour distancer une « concurrence » !
« Conseil, dis-je à mon brave serviteur qui se trouvait prÚs de moi, sais-tu bien que nous allons probablement sauter ?
â Comme il plaira Ă monsieur ! » rĂ©pondit Conseil.
Eh bien ! je l'avouerai, cette chance, il ne me déplaisait pas de la risquer.
Les soupapes furent chargées. Le charbon s'engouffra dans les fourneaux. Les ventilateurs envoyÚrent des torrents d'air sur les brasiers. La rapidité de l'Abraham Lincoln s'accrut. Ses mùts tremblaient jusque dans leurs emplantures, et les tourbillons de fumée pouvaient à peine trouver passage par les cheminées trop étroites.
On jeta le loch une seconde fois.
« Eh bien ! timonier ? demanda le commandant Farragut.
â Dix neuf milles trois dixiĂšmes, monsieur.
â Forcez les feux. »
L'ingĂ©nieur obĂ©it. Le manomĂštre marqua dix atmosphĂšres. Mais le cĂ©tacĂ© « chauffa » lui aussi, sans doute, car, sans se gĂȘner, il fila ses dix-neuf milles et trois dixiĂšmes.
Quelle poursuite ! Non, je ne puis dĂ©crire l'Ă©motion qui faisait vibrer tout mon ĂȘtre. Ned Land se tenait Ă son poste, le harpon Ă la main. Plusieurs fois, l'animal se laissa approcher.
« Nous le gagnons ! nous le gagnons ! » s'écria le Canadien.
Puis, au moment oĂč il se disposait Ă frapper, le cĂ©tacĂ© se dĂ©robait avec une rapiditĂ© que je ne puis estimer Ă moins de trente milles Ă l'heure. Et mĂȘme, pendant notre maximum de vitesse, ne se permit-il pas de narguer la frĂ©gate en en faisant le tour ! Un cri de fureur s'Ă©chappa de toutes les poitrines !
A midi, nous n'étions pas plus avancés qu'à huit heures du matin.
Le commandant Farragut se décida alors à employer des moyens plus directs.
« Ah ! dit-il, cet animal-là va plus vite que l'Abraham-Lincoln ! Eh bien : nous allons voir s'il distancera ses boulets coniques. Maßtre, des hommes à la piÚce de l'avant. »
Le canon de gaillard fut immédiatement chargé et braqué. Le coup partit, mais le boulet passa à quelques pieds au-dessus du cétacé, qui se tenait à un demi-mille.
« A un autre plus adroit ! cria le commandant, et cinq cents dollars Ă qui percera cette infernale bĂȘte ! »
Un vieux canonnier Ă barbe grise - que je vois encore - , l'Ćil calme, la physionomie froide, s'approcha de sa piĂšce, la mit en position et visa longtemps. Une forte dĂ©tonation Ă©clata, Ă laquelle se mĂȘlĂšrent les hurrahs de l'Ă©quipage.
Le boulet atteignit son but, il frappa l'animal, mais non pas normalement, et glissant sur sa surface arrondie, il alla se perdre Ă deux milles en mer.
« Ah ça ! dit le vieux canonnier, rageant, ce gueux-là est donc blindé avec des plaques de six pouces !
â MalĂ©diction ! » s'Ă©cria le commandant Farragut.
La chasse recommença, et le commandant Farragut se penchant vers moi, me dit :
« Je poursuivrai l'animal jusqu'à ce que ma frégate éclate !
â Oui, rĂ©pondis-je, et vous aurez raison ! »
On pouvait espérer que l'animal s'épuiserait, et qu'il ne serait pas indifférent à la fatigue comme une machine à vapeur. Mais il n'en fut rien. Les heures s'écoulÚrent, sans qu'il donnùt aucun signe d'épuisement.
Cependant, il faut dire à la louange de l'Abraham-Lincoln qu'il lutta avec une infatigable ténacité. Je n'estime pas à moins de cinq cents kilomÚtres la distance qu'il parcourut pendant cette malencontreuse journée du 6 novembre ! Mais la nuit vint et enveloppa de ses ombres le houleux océan.
En ce moment, je crus que notre expédition était terminée, et que nous ne reverrions plus jamais le fantastique animal. Je me trompais.
A dix heures cinquante minutes du soir, la clarté électrique réapparut, à trois milles au vent de la frégate, aussi pure, aussi intense que pendant la nuit derniÚre.
Le narwal semblait immobile. Peut-ĂȘtre, fatiguĂ© de sa journĂ©e, dormait-il, se laissant aller Ă l'ondulation des lames ? Il y avait lĂ une chance dont le commandant Farragut rĂ©solut de profiter.
Il donna ses ordres. L'Abraham-Lincoln fut tenu sous petite vapeur, et s'avança prudemment pour ne pas éveiller son adversaire. Il n'est pas rare de rencontrer en plein océan des baleines profondément endormies que l'on attaque alors avec succÚs, et Ned Land en avait harponné plus d'une pendant son sommeil. Le Canadien alla reprendre son poste dans les sous-barbes du beaupré.
La frégate s'approcha sans bruit, stoppa à deux encablures de l'animal, et courut sur son erre. On ne respirait plus à bord. Un silence profond régnait sur le pont. Nous n'étions pas à cent pieds du foyer ardent, dont l'éclat grandissait et éblouissait nos yeux.
En ce moment, penché sur la lisse du gaillard d'avant je voyais au-dessous de moi Ned Land, accroché d'une main à la martingale, de l'autre brandissant son terrible harpon Vingt pieds à peine le séparaient de l'animal immobile.
Tout d'un coup, son bras se détendit violemment, et le harpon fut lancé. J'entendis le choc sonore de l'arme, qui semblait avoir heurté un corps dur.
La clarté électrique s'éteignit soudain, et deux énormes trombes d'eau s'abattirent sur le pont de la frégate, courant comme un torrent de l'avant à l'arriÚre, renversant les hommes, brisant les saisines des dromes.
Un choc effroyable se produisit, et, lancé par-dessus la lisse, sans avoir le temps de me retenir, je fus précipité à la mer.
VII UNE BALEINE D'ESPĂCE INCONNUEBien que j'eusse Ă©tĂ© surpris par cette chute inattendue, je n'en conservai pas moins une impression trĂšs nette de mes sensations.
Je fus d'abord entraĂźnĂ© Ă une profondeur de vingt pieds environ. Je suis bon nageur, sans prĂ©tendre Ă©galer Byron et Edgar Poe, qui sont des maĂźtres, et ce plongeon ne me fit point perdre la tĂȘte. Deux vigoureux coups de talons me ramenĂšrent Ă la surface de la mer.
Mon premier soin fut de chercher des yeux la frĂ©gate. L'Ă©quipage s'Ă©tait-il aperçu de ma disparition ? L'Abraham-Lincoln avait-il virĂ© de bord ? Le commandant Farragut mettait-il une embarcation Ă la mer ? Devais-je espĂ©rer d'ĂȘtre sauvĂ© ?
Les ténÚbres étaient profondes. J'entrevis une masse noire qui disparaissait vers l'est, et dont les feux de position s'éteignirent dans l'éloignement. C'était la frégate. Je me sentis perdu.
« A moi ! à moi ! » criai-je, en nageant vers l'Abraham-Lincoln d'un bras désespéré.
Mes vĂȘtements m'embarrassaient. L'eau les collait Ă mon corps, ils paralysaient mes mouvements. Je coulais ! je suffoquais !...
« A moi ! »
Ce fut le dernier cri que je jetai. Ma bouche s'emplit d'eau. Je me débattis, entraßné dans l'abßme...
Soudain, mes habits furent saisis par une main vigoureuse, je me sentis violemment ramené à la surface de lamer, et j'entendis, oui, j'entendis ces paroles prononcées à mon oreille :
« Si monsieur veut avoir l'extrĂȘme obligeance de s'appuyer sur mon Ă©paule, monsieur nagera beaucoup plus Ă son aise. »
Je saisis d'une main le bras de mon fidĂšle Conseil.
« Toi ! dis-je, toi !
â Moi-mĂȘme, rĂ©pondit Conseil, et aux ordres de monsieur.
â Et ce choc t'a prĂ©cipitĂ© en mĂȘme temps que moi Ă la mer ?
â Nullement. Mais Ă©tant au service de monsieur, j'ai suivi monsieur ! »
Le digne garçon trouvait cela tout naturel !
« Et la frégate ? demandai-je.
â La frĂ©gate ! rĂ©pondit Conseil en se retournant sur le dos, je crois que monsieur fera bien de ne pas trop compter sur elle !
â Tu dis ?
â Je dis qu'au moment oĂč je me prĂ©cipitai Ă la mer, j'entendis les hommes de barre s'Ă©crier : « L'hĂ©lice et le gouvernail sont brisĂ©s... »
â BrisĂ©s ?
â Oui ! brisĂ©s par la dent du monstre. C'est la seule avarie, je pense, que l'Abraham-Lincoln ait Ă©prouvĂ©e. Mais, circonstance fĂącheuse pour nous, il ne gouverne plus.
â Alors, nous sommes perdus !
â Peut-ĂȘtre, rĂ©pondit tranquillement Conseil. Cependant, nous avons encore quelques heures devant nous, et en quelques heures, on fait bien des choses ! »
L'imperturbable sang-froid de Conseil me remonta. Je nageai plus vigoureusement ; mais, gĂȘnĂ© par mes vĂȘtements qui me serraient comme un chape de plomb, j'Ă©prouvais une extrĂȘme difficultĂ© Ă me soutenir. Conseil s'en aperçut.
« Que monsieur me permette de lui faire une incision », dit-il.
Et glissant un couteau ouvert sous mes habits, il les fendit de haut en bas d'un coup rapide. Puis, il m'en débarrassa lestement, tandis que je nageais pour tous deux.
A mon tour, je rendis le mĂȘme service Ă Conseil, et nous continuĂąmes de « naviguer » l'un prĂšs de l'autre.
Cependant, la situation n'en Ă©tait pas moins terrible. Peut-ĂȘtre notre disparition n'avait-elle pas Ă©tĂ© remarquĂ©e, et l'eĂ»t-elle Ă©tĂ©, la frĂ©gate ne pouvait revenir sous le vent Ă nous, Ă©tant dĂ©montĂ©e de son gouvernail. Il ne fallait donc compter que sur ses embarcations.
Conseil raisonna froidement dans cette hypothĂšse et fit son plan en consĂ©quence. Ătonnante nature ! Ce phlegmatique garçon Ă©tait lĂ comme chez lui !
Il fut donc dĂ©cidĂ© que notre seule chance de salut Ă©tant d'ĂȘtre recueillis par les embarcations de l'Abraham-Lincoln, nous devions nous organiser de maniĂšre a les attendre le plus longtemps possible. Je rĂ©solus alors de diviser nos forces afin de ne pas les Ă©puiser simultanĂ©ment, et voici ce qui fut convenu : pendant que l'un de nous, Ă©tendu sur le dos, se tiendrait, immobile, les bras croisĂ©s, les jambes allongĂ©es, l'autre nagerait et le pousserait en avant. Ce rĂŽle de remorqueur ne devait pas durer plus de dix minutes, et nous relayant ainsi, nous pouvions surnager pendant quelques heures, et peut-ĂȘtre jusqu'au lever du jour.
Faible chance ! mais l'espoir est si fortement enracinĂ© au cĆur de l'homme ! Puis, nous Ă©tions deux. Enfin je l'affirme bien que cela paraisse improbable - , si je cherchais Ă dĂ©truire en moi toute illusion, si je voulais « dĂ©sespĂ©rer », je ne le pouvais pas !
La collision de la frégate et du cétacé s'était produite vers onze heures du soir environ. Je comptais donc sur huit heures de nage jusqu'au lever du soleil. Opération rigoureusement praticable, en nous relayant. La mer assez belle, nous fatiguait peu. Parfois, je cherchais à percer du regard ces épaisses ténÚbres que rompait seule la phosphorescence provoquée par nos mouvements. Je regardais ces ondes lumineuses qui se brisaient sur ma main et dont la nappe miroitante se tachait de plaques livides. On eût dit que nous étions plongés dans un bain de mercure.
Vers une heure du matin, je fus pris d'une extrĂȘme fatigue. Mes membres se raidirent sous l'Ă©treinte de crampes violentes. Conseil dut me soutenir, et le soin de notre conservation reposa sur lui seul. J'entendis bientĂŽt haleter le pauvre garçon ; sa respiration devint courte et pressĂ©e. Je compris qu'il ne pouvait rĂ©sister longtemps.
« Laisse-moi ! laisse-moi ! lui dis-je.
â Abandonner monsieur ! jamais ! rĂ©pondit-il. Je compte bien me noyer avant lui ! »
En ce moment, la lune apparut Ă travers les franges d'un gros nuage que le vent entraĂźnait dans l'est. La surface de la mer Ă©tincela sous ses rayons. Cette bienfaisante lumiĂšre ranima nos forces. Ma tĂȘte se redressa. Mes regards se portĂšrent Ă tous les points de l'horizon. J'aperçus la frĂ©gate. Elle Ă©tait Ă cinq mille de nous, et ne formait plus qu'une masse sombre, Ă peine apprĂ©ciable ! Mais d'embarcations, point !
Je voulus crier. A quoi bon, à pareille distance ! Mes lÚvres gonflées ne laissÚrent passer aucun son. Conseil put articuler quelques mots, et je l'entendis répéter à plusieurs reprises :
« A nous ! à nous ! »
Nos mouvements un instant suspendus, nous écoutùmes. Et, fût-ce un de ces bourdonnements dont le sang oppressé emplit l'oreille, mais il me sembla qu'un cri répondait au cri de Conseil.
« As-tu entendu ? murmurai-je.
â Oui ! oui ! »
Et Conseil jeta dans l'espace un nouvel appel désespéré.
Cette fois, pas d'erreur possible ! Une voix humaine rĂ©pondait Ă la nĂŽtre ! Ătait-ce la voix de quelque infortunĂ©, abandonnĂ© au milieu de l'OcĂ©an, quelque autre victime du choc Ă©prouvĂ© par le navire ? Ou plutĂŽt une embarcation de la frĂ©gate ne nous hĂ©lait-elle pas dans l'ombre ?
Conseil fit un suprĂȘme effort, et, s'appuyant sur mon Ă©paule, tandis que je rĂ©sistais dans une derniĂšre convulsion, il se dressa Ă demi hors de l'eau et retomba Ă©puisĂ©.
« Qu'as-tu vu ?
â J'ai vu... murmura-t-il, j'ai vu... mais ne parlons pas... gardons toutes nos forces !... »
Qu'avait-il vu ? Alors, je ne sais pourquoi, la pensĂ©e du monstre me vint pour la premiĂšre fois Ă l'esprit !... Mais cette voix cependant ?... Les temps ne sont plus oĂč les Jonas se rĂ©fugient dans le ventre des baleines !
Pourtant, Conseil me remorquait encore. Il relevait parfois la tĂȘte, regardait devant lui, et jetait un cri de reconnaissance auquel rĂ©pondait une voix de plus en plus rapprochĂ©e. Je l'entendais Ă peine.
Comments (0)