Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (win 10 ebook reader txt) 📖
- Author: C.-A. Sainte-Beuve
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D'accompagnement Assorti Jusque Dans Le Rang SuprĂŞme. Mais, Du Moment
Que Les Vers, Ramenés À L'état De Simple Composition Littéraire,
Devinrent Un Art Plus Précis, Du Moment Que Les Rimes Durent Se Coucher
_Par Écriture_, Et Qu'il Fallut, Bon Gré Mal Gré, Et Nonobstant
Toutes Métaphores, Noircir Du Papier, Comme On Dit, Pour Arriver À
L'indispensable Correction Et À L'élégance, Dès Lors Il Fut À Peu Près
Impossible D'être À La Fois Roi Et Poëte Avec Bienséance. Que Gagne La
Gloire Du Grand Frédéric À Tant De Mauvais Vers (Même Quand Ils Seraient
Un Peu Moins Mauvais), Griffonnés La Veille Ou Le Soir D'une Bataille,
À Chaque Étape De Ses Rudes Guerres? La Force D'âme Du Monarque Et Du
Capitaine, En Plus D'une Conjoncture Terrible, Ne Serait Pas Moins
Prouvée, Pour N'être Point Consignée Dans Des Pièces Soi-Disant Légères,
Signées _Sans-Souci_ Et Adressées À D'argens. L'opiniâtre Rimeur N'a
RĂ©ussi, Par Cette DĂ©pense De Bel Esprit, Qu'Ă Introduire, On L'a
Très-Bien Remarqué, Un Peu De Trissotin Dans Le Héros. On Sait Qu'un
Jour Louis Xiv Aussi S'était Avisé De Rimer; C'était Sans Doute Dans Le
Court Instant Où Il Se Laissait Tenter À Cette Gloire Des Ballets Et Des
Carrousels, Dont Un Passage De _Britannicus_ Le Guérit. Cette Fois La
Leçon Lui Vint De Boileau, À Qui Il Montra Ses Vers En Demandant Un
Avis. «Sire, Répondit Le Poëte, Rien N'est Impossible À Votre Majesté;
Elle A Voulu Faire De Mauvais Vers, Et Elle Y A Réussi.» Louis Xiv, Avec
Son Grand Sens, Se Le Tint Pour Dit. Richelieu, Qui Était Presque Un
Roi, S'est Donné Un Ridicule Avec Ses Prétentions D'auteur. A De Tels
Personnages, Chefs Et Gardiens Des États, Il Est Aussi Beau D'aimer,
De Favoriser Les Arts Et La Poésie, Que Périlleux De S'y Essayer
Directement; Et, Plus Ils Sont Capables De Grandeur, Plus Il Y A Raison
De Répéter Pour Eux La Magnifique Parole Que Le Poète Adressait Au
Peuple Romain Lui-MĂŞme:
Tu Regere Imperio Populos, Romane, Memento.
Hae Tibi Erunt Arles.....
[Note 6: _Iliade_, Xi, 783.]
On Aurait Tort Pourtant Et L'on Serait Injuste D'appliquer Trop
Rigoureusement Aux _Poésies_ De François Ier Ce Que Les Précédentes
Observations Semblent Avoir Aujourd'hui D'incontestable. Les Vers
D'amateur Ne Sont Plus Guère De Mise Eu Français Depuis Malherbe; Mais
Malherbe N'était Pas Venu. Sans Doute Si François Ier Avait Pu Lire À Un
Despréaux N'importe Lesquelles De Ses Épîtres Ou Même De Ses Rondeaux,
Il Aurait Couru Grand Risque De Recevoir La MĂŞme RĂ©ponse Que S'attira
Louis Xiv; Mais Il N'y Avait Pas Alors De Despréaux. Les Meilleurs
Poëtes Du Temps, À Commencer Par Marot, Faisaient Bien Souvent Des
Vers DĂ©testables, De MĂŞme Que Les Moins Bons Rimeurs Rencontraient
Quelquefois Des Hasards Assez Jolis. Tout Le Xvie Siècle, À Cet Égard,
Nous Présente Comme Un Continuel Et Confus Effort De Débrouillement.
François Ier, Dès Le Jour Où Il Monta Sur Le Trône, Donna Le Signal À
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 31Ce Puissant Travail Qui Devait Contribuer À Répandre Et À Polir En
Définitive La Langue Française. Grâce À L'impulsion Qu'il Communiqua
D'en Haut, Ce Fut BientĂ´t De Toutes Parts Autour De Lui Un DĂ©frichement
Universel. Lui-Même On Le Vit Des Premiers Mettre La Main À
L'instrument. Ce Qui Eût Été, En D'autres Temps, Une Prétention Petite,
Était Donc Ici Une Noble Erreur, Ou Plutôt Simplement Un Bon Exemple.
Qu'on Me Permette Une Comparaison Qui Rendra Nettement Ma Pensée. Il Y
Eut Un Jour Dans La Révolution Française Où L'on Voulut Remuer Tout D'un
Coup Le Champ De Mars Et Le Dresser En Amphithéâtre Pour Une Solennité
Immense: Les Bras Ne Suffisaient Pas; Chacun S'y Mit, Et L'on Vit De
Belles Dames Elles-Mêmes, De Très-Grandes Dames De La Veille, Manier La
Pelle Et La Bûche. Je Pense Bien Que Ces Mains Délicates Firent Assez
Peu D'ouvrage; Mais Combien Elles Durent Exciter Autour D'elles! Ce
Fut Là En Partie Le Rôle De François Ier Poëte, Et Celui Des Valois, Y
Compris Plus D'une Princesse.
Ce Qu'on Appelle La _Renaissance_ Dans Notre Occident Constitue
Véritablement Un Des Âges Par Lesquels Avait À Passer Le Monde Moderne;
Cet Ă‚ge Ou Cette Saison RĂ©gnait Depuis Longtemps DĂ©jĂ En Italie, Quand
La France Retardait Encore. Les Expéditions De Charles Viii Et De Louis
Xii Avaient Rapporté Les Germes Et Sourdement Mûri Les Esprits; Mais
Rien Jusque-Là N'éclatait. La Gloire De François Ier Est D'avoir, À
Peine Sur Le TrĂ´ne, Senti Avant Tous Ce Grand Souffle D'un Printemps
Nouveau Qui Voulait Éclore, Et D'en Avoir Inauguré La Venue. Rien Ne
Saurait Donner Une Plus Juste Idée Du Brusque Changement Qui Se Fit
D'un Règne À L'autre Que Ces Phrases Naïves De La Mère De François Ier,
Louise De Savoie, Écrivant En Son _Journal_: «Le 22 Septembre 1314,
Le Roi Louis Xii, Fort Antique Et DĂ©bile, Sortit De Paris Pour Aller
Au-Devant De Sa Jeune Femme La Reine Marie.» Et Quelques Lignes Plus
Bas: «Le Premier Jour De Janvier 1515, Mon Fils Fut Roi De France.»
Son Fils, Son _CĂ©sar Pacifique_, Ou Encore Son _Glorieux Et Triomphant
César, Subjugateur Des Helvétiens_, Comme Elle Le Nomme Tour À Tour.
Ainsi, Succédant À Ce Bon Roi _Antique Et Débile_, Et Dont Les
Rajeunissements Mêmes Semblaient Un Peu Surannés De Galanterie Et De
Goût, L'ardent Monarque De Vingt Ans Solennisa Son Entrée Comme Au Bruit
Des Fanfares Et De La Trompette. La Victoire Lui Paya La Bienvenue À
Marignan, Et Les Poëtes Firent Écho De Toutes Parts. Une Vive Et Facile
École Débutait Justement Avec Le Règne, Et Saluait Pour Chef Et Pour
Prince Le Jeune Clément Marot. Le Même Roi, Qui Avait Demandé À Bayard
De L'armer Chevalier, Aurait Presque Demandé Au Gentil Maître Clément
De Le Couronner Poëte. Mais Ce N'était Point Dans De Simples Rimes Que
François Ier Faisait Consister L'idée Et L'honneur Des Lettres; Il
Embrassa La Renaissance Dans Toute Son Étendue. Épris De Toute Noble
Culture Des Arts Et De L'esprit, Admirateur, Appréciateur D'érasme Comme
De LĂ©onard De Vinci Et Du Primatice, Et Jaloux De DĂ©corer D'eux _Sa
Nation_, Comme Il Disait, Et Son Règne, Propagateur De La Langue
Vulgaire Dans Les Actes De L'Ă©tat, Et Fondateur D'un Haut Enseignement
Libre En Dehors De L'université Et De La Sorbonne, Il Justifie, Malgré
Bien Des Déviations Et Des Écarts, Le Titre Que La Reconnaissance Des
Contemporains Lui DĂ©cerna. Son Bienfait Essentiel Consiste Moins Dans
Telle Ou Telle Fondation Particulière, Que Dans L'esprit Même Dont Il
Était Animé Et Qu'il Versa Abondamment Autour De Lui. S'il Restaurait
Dans Avignon Le Tombeau De Laure, Il Semblait En Tout S'être Inspiré
De La Passion De Pétrarque, Le Grand Précurseur, Pour Le Triomphe Des
Sciences Illustres. Les Imaginations S'enflammèrent À Voir Cette Flamme
En Si Haut Lieu. Montaigne, Qui Était De La Génération Suivante, Nous A
Montré Son Digne Père, Homme De Plus De Zèle Que De Savoir, «Eschauffé
De Cette Ardeur Nouvelle, De Quoy Le Roy François Premier Embrassa Les
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 32Personnes Saintes_. «Moy, S'empresse D'ajouter Le Malin, Je Les Aime
Bien, Mais Je Ne Les Adore Pas.» Ce Fut Cette Sorte De Culte Que
François Ier Naturalisa En France, Et Si Un Peu De Superstition S'y Mêla
D'abord (Comme Cela Est Inévitable Pour Tous Les Cultes), Dans Le
Cas Présent Elle Ne Nuisit Pas. On Aime À Voir, À Quelque Retour De
Fontainebleau Ou De Chambord, Le Royal Promoteur De Toute Belle Et Docte
Nouveauté, Et De La Nouveauté Surtout Qui Servait La Cause Antique, S'en
Aller À Cheval En La Rue Saint-Jean-De-Beauvais Jusqu'à L'imprimerie De
Robert Estienne, Et Là Attendre Sans Impatience Que Le Maître Ait Achevé
De Corriger L'_Épreuve_, Cette Chose Avant Tout Pressante Et Sacrée.
Bien Des Erreurs Et Des Rigueurs Suivirent Sans Doute De Si Favorables
Commencements Et Compromirent Les Destinées Finales Du Règne; Mais
L'élan, Une Fois Donné, Suffisait À Produire De Merveilleux Effets; Les
Semences Jetées Au Vent Pénétrèrent Et Firent Leur Chemin En Mille Sens
Dans Les Esprits; La Politesse Greffée Sur La Science S'essaya, Et L'on
En Eut, Sous Cette Race Des Valois, Une Première Fleur. Voilà De Quoi
Excuser D'avance Bien Des Mauvais Vers, Si Nous En Rencontrons Chez Le
Roi Poëte; Et, Comme Circonstance Atténuante, Il Convient De Noter Aussi
Qu'un Grand Nombre Furent Écrits Dans Les Ennuis D'une Longue Captivité,
Ce Qui, Au Besoin, Les Explique Et Les Absout Encore. Car _Que Faire En
Un Gîte, À Moins Que L'on Ne Songe?_ Et Que Devenir Dans Une Prison À
Moins Que D'y Soupirer Et Rimer Sa Plainte? Le Bon René D'anjou, Captif
En Sa Jeunesse, Avait Usé Ainsi De Musique Et De Vers, En Même Temps
Qu'il Peignait Aux Murailles De Sa Tour Diverses Sortes De Compositions
Mélancoliques Et D'emblèmes. Le Grand-Oncle De François Ier, Charles
D'orléans, En Pareille Disgrâce, Avait Également Demandé Consolation À
La Poésie Et L'avait Fait Avec Un Rare Bonheur De Talent. Si François
Ier Fut Loin D'y Réussir Aussi Bien, L'idée, L'intention Du Moins Était
Délicate Et Noble. En Toutes Choses, Il Faut Surtout Demander À Ce
Prince Généreux De Nature Le Premier Mouvement Et L'intention.
Le Recueil Des _Poésies_ De François Ier, Que Vient De Publier M. Aimé
Champollion, Est Tiré De Trois Manuscrits Que Possède La Bibliothèque Du
Roi; L'Ă©diteur En Mentionne Trois Autres Qui Se Trouvent Dans Le MĂŞme
Dépôt, Mais Qui Ne Sont Que Des Copies. Un Amateur Éclairé, M. Cigongne,
Possède Aussi Dans Sa Riche Collection Un Manuscrit Qui Correspond, Pour
Le Contenu, À L'un Des Trois Premiers, Et Qui Paraît En Être L'original.
Ce Manuscrit Commence Tout Simplement Par Une Lettre En Prose Que Le Roi
Prisonnier Écrit À Une Maîtresse Dont On Ignore Le Nom:
«Ayant Perdu, Dit-Il, L'occasion De Plaisante Escripture Et Acquis
L'oubliance De Tout Contentement, N'est Demeuré Riens Vivant En Ma
MĂ©moire, Que La Souvenance De Vostre Heureuse Bonne Grace, Qui En
Moy A La Seulle Puissance De Tenir Vif Le Reste De Mon Ingrate
Fortune. Et Pour Ce Que L'occasion, Le Lieu, Le Temps Et Commodité
Me Sont Rudes Par Triste Prison, Vous Plaira Excuser Le Fruict Qu'a
Meury Mon Esperit En Ce Pénible Lieu...»
Cette Lettre, Avec La Pièce De Vers Qui L'accompagne, Se Trouve Aux
Pages 42 Et 43 De La Présente Édition; Mais, En La Lisant Au Début, On
Comprend Mieux Comment François Ier Devint Décidément Poëte Ou Rimeur,
Et Comment L'ennui L'amena À Développer Sinon Un Talent, Du Moins Une
Facilité Qu'il N'avait Guère Eu Le Loisir D'exercer Jusqu'alors. Il
Redit La Même Chose Dans La Longue Épître Où Il Raconte Son _Parlement
De France Et Sa Prise Devant Pavie_:
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