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Book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (win 10 ebook reader txt) 📖». Author C.-A. Sainte-Beuve



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Faire Paraître De L'envie Que J'avais De Tout

Ce Qui Pouvait Amener Le Renvoi De La Maîtresse Et Du Ministre, Sans

Cependant Me Permettre D'affecter Jamais Aucun Sentiment Contraire. Il

Était Déjà Dix Heures Du Soir. Le Roi Avait Été Changé De Son Grand Lit

Dans Un Petit, Pour La Commodité De Son Service; Son Affaissement, Ses

Douleurs, Sa Pesanteur Augmentaient, Et, Malgré L'opinion Qu'on Avait

De Sa Faiblesse Et De Sa Peur, Il Paraissait Bien Évidemment Qu'il

Commençait Une Grande Maladie. Tout Versailles En Était Persuadé,

Excepté Ceux Qui Ne Voulaient Pas L'être. Les Médecins L'étaient Comme

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 278

Tout Le Monde, Et Leur Silence L'annonçait; Ils Ne Parlaient Qu'entre

Eux, Et Remettaient Encore Au Lendemain À Vouloir Prononcer Sur Le

Caractère De La Maladie. La Famille Royale, Fort Inquiète, Était Revenue

Après Son Souper Voir Le Roi, Et Se Préparait À Rester Tard Dans La

Chambre À Côté Pour Voir Le Commencement De La Nuit, Quand Tout À Coup

La Lumière, Approchée Du Visage Du Roi Sans La Précaution Ordinaire,

Éclaira Son Front Et Ses Joues, Où L'on Aperçut Des Rougeurs. Les

Médecins Qui Entouraient Le Lit, À La Vue De Ces Rougeurs Qui Étaient

Déjà Des Boutons Élevés Sur La Peau, Se Regardèrent Entre Eux Avec Un

Accord Et Un Étonnement Qui Fut L'aveu De Leur Ignorance. Lemonnier

Voyait Le Roi Depuis Deux Jours Avec Des Maux De Reins, De

L'affaissement, Des Maux De Coeur; Les Quatre Autres Voyaient Depuis

Midi Les Symptômes Augmentés, Et Aucun, Même En Tâtant Le Pouls, Ne

S'était Douté Que La Maladie Pût Être La Petite Vérole. Tout Le Monde

Le Vit Dans Ce Moment, Et Il Était Inutile D'être Médecin Pour En Être

Convaincu. Ceux-Ci Sortirent De La Chambre Du Roi, Et L'annoncèrent À

La Famille Royale En Disant Qu'enfin On Savait Ce Qu'Ă©tait La Maladie,

Qu'elle Était Bien Connue, Que Le Roi Était Préparé À Merveille, Et Que

Cela Irait Bien. Le Premier Soin De Tout Le Monde Fut D'engager M.

Le Dauphin, Qui N'avait Jamais Eu La Petite Vérole, À Quitter

L'appartement; Mme La Dauphine L'emmena. M. Le Comte De Provence, M.

Le Comte D'artois Et Leurs Femmes Sortirent Aussi; Mesdames Seules

Restèrent. Elles N'avaient Pas Eu Plus La Petite Vérole Que M. Le

Dauphin, Et En Avaient Peur: Elles Ne Voulurent Pas Se Rendre Aux

Représentations Que Nous Leur Fîmes, Et Se Montrèrent Inébranlables Dans

Le Projet Qu'elles Avaient Formé De Ne Point Abandonner Leur Père. On

Aura Peine À Croire Que Cet Acte De Piété Filiale Ait Excité Aussi

Peu Qu'il L'a Fait L'intérêt Public. Les Gens Qui En Parlaient Se

Contentaient De Dire Que C'Ă©tait Bien, Mais Les Trois Quarts N'en

Parlaient Ni N'y Pensaient; Et Cette Indifférence, Ce Froid Pour Une

Action Réellement Aussi Belle, Aussi Touchante, Que L'on Eût Tant Goûtée

Et Vantée De Particuliers, Ne Venait Pas De L'occupation Où Était Toute

La Cour De La Maladie Du Roi; Elle N'Ă©tait Produite Que Par La Plate Et

Mince Existence De Mesdames, Que L'on Connaissait Sans Envie Du Bien,

Sans Âme, Sans Caractère, Sans Franchise, Sans Amour Pour Leur Père. On

Fut Persuadé Que C'était Pour Faire Parler D'elles, Ou Machinalement,

Qu'elles Se Soumettaient À Un Danger Aussi Évident. Leur Oisiveté

Ordinaire Fit Croire À Quelques-Uns Que C'était Pour Se Donner Une

Occupation; D'autres Crurent Que Mmes De Narbonne Et De Durfort,

Célèbres Ouvrières En Intrigues, Avaient Poussé Mmes Adélaïde Et

Victoire À Cette Conduite, Dont Elles Espéraient Retirer Dans La Suite

L'intérêt; Et Que Quant À Mme Sophie, Qui Était Une Manière D'automate,

Aussi Nulle Pour L'esprit Que Pour Le Caractère, Elle Avait, Selon Sa

Coutume, Suivi Par Apathie La Volonté Et Le Projet De Ses Soeurs. Mais

La Meilleure Raison Encore Du Peu D'effet Que Faisait Sur L'esprit De

La Cour Et De Paris La Conduite VĂ©ritablement Respectable De Mesdames,

C'était L'objet De Leur Sacrifice. Le Roi Était Tellement Avili,

Tellement Méprisé, Particulièrement Méprisé, Que Rien De Ce Qu'on

Pouvait Faire Pour Lui N'avait Droit D'intéresser Le Public. Quelle

Leçon Pour Les Rois! Il Faut Qu'ils Sachent Que, Comme Nous Sommes

Obligés Malgré Nous De Leur Donner Des Marques Extérieures De Respect

Et De Soumission, Nous Jugeons À La Rigueur Leurs Actions, Et Nous

Nous Vengeons De Leur Autorité Par Le Plus Profond Mépris, Quand Leur

Conduite N'a Pas Pour But Notre Bien Et Ne MĂ©rite Pas Notre Admiration;

Et, En Vérité, Il N'était Pas Besoin De Rigueur Pour Juger Le Roi Comme

Il L'Ă©tait Par Tout Son Royaume.

 

Revenons À La Maladie. La Manière Dont Les Médecins Avaient Annoncé À

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 279

Mesdames La Petite Vérole Du Roi Leur Parut, Non Pas Un Présage, Mais

Une Assurance De Guérison. Elles Répétèrent Qu'il Était Bien Préparé,

Citant Cinq Ou Six Exemples De Gens De Soixante-Dix Ans Qui Avaient Eu

La Petite Vérole, Et Allèrent Se Coucher Persuadées Que Le Roi Était

En Bon État, Puisqu'il Avait La Petite Vérole. Quelques Personnes De

L'intérieur Prirent Aussi Part À Cette Joie, Et Presque Tout Le Monde Se

Dit Dans Le Premier Moment: «Voilà Qui Va Bien; C'est L'affaire De Neuf

Jours Et D'un Peu De Patience.» Je N'étais Point De L'avis De Tout Le

Monde, Et, Sans Dire Le Mien, Je Dis À Bordeu: «_Écoutez Ces Messieurs

Qui Sont Charmés Parce Que Le Roi A La Petite Vérole._»--«_Sandis! Dit

Bordeu, C'est Apparemment Qu'ils Héritent De Lui. La Petite Vérole À

Soixante-Quatre Ans, Avec Le Corps Du Roi, C'est Une Terrible Maladie._»

Il Me Quitta Pour Aller Annoncer Cette Triste Antienne À Mme Dubarry,

Qui N'avait Pas Vu Le Roi De La Journée, Et Qu'il Effraya Infiniment En

Lui Disant À Peu Près Les Mêmes Choses Qu'il M'avait Dites. Peut-Être

Lui Fit-Il Le Danger Moins Fort Qu'il Ne Me L'avait Fait; Mais Il M'a

Toujours Assuré Lui Avoir Dit, À Cette Première Visite, Qu'il N'y Avait

Préparation Qui Tînt, Et Que L'inquiétude De Tout Ce Qui S'intéressait

Au Roi Devait Être Fort Considérable. Pendant Que Bordeu Était Chez Mme

Dubarry, On Agitait, Dans Une Chambre Auprès De Celle Du Roi, Si On Lui

Dirait Ou Si On Lui Cacherait Qu'il Avait La Petite VĂ©role. Mesdames,

En S'en Allant Coucher, S'étaient Reposées, Pour La Décision De Cette

Question, Sur Notre Prudence, Et S'en Rapportaient À Notre Avis Et À

Celui Des Médecins. Je Fus Appelé Comme Les Autres À Ce Conseil, Que Je

Trouvai Composé De Toute La Faculté, Hors Bordeu, De M. De Bouillon, De

M. D'aumont, De M. De Villequier. Les Avis Étaient Assez Partagés. Les

Médecins Disaient Beaucoup De Mots Sans Prononcer Rien Qui Conclût, Et

Voulaient Que Nous DĂ©cidassions. M. D'aumont, Plus Verbeux Que Personne,

Faisait Plus De Phrases; Mais, Plus Timide Et Plus Sot, Il N'Ă©tait

D'aucun Avis; Son Fils[317] Était Un Peu Plus Décidé Pour Qu'on Cachât

Absolument Au Roi La Nature De Son Mal, Et M. De Bouillon Voulait Qu'on

Ne Lui Laissât Rien Ignorer. M. D'aumont Même Se Recordait À Cet Avis,

Car M. De Bouillon Parlait Plus Fort, Et C'est Toujours Ce Qui Entraîne

Les Sots. J'Ă©tais Le Plus Jeune, Et, Outre Le Peu De DĂ©sir Que J'avais

De Parler, Ma Jeunesse M'interdisait De Donner Mon Avis Sans Qu'on Me Le

Demandât. Je Fus Interpellé, Et Je Dis Que Je Ne Mettais Point En Doute

Que, Si Le Roi Apprenait Qu'il Avait La Petite VĂ©role, Cette Nouvelle Ne

Fût Pour Lui Le Coup De La Mort. Je Parlai De Sa Peur, De Sa Faiblesse,

Que Je Donnai Pour Motif De Mon Opinion, Et Je Conclus Avec Fermeté À Ce

Qu'on Ne Lui Dit Pas. On Verra Bien Aisément Que Je Donnais L'avis Qui

Était Le Moins Selon Mes Désirs; Mais Il Était Selon Ma Conscience, Et

J'aurais Été Coupable De Soutenir Celui De M. De Bouillon, Dont Pourtant

Je Désirais L'exécution, Puisqu'en Donnant Au Roi La Certitude Qu'il

Avait Une Maladie Aussi Dangereuse, Il Le Déterminait À Recevoir Les

Sacrements Et À Renvoyer Tout Cet Odieux Tripot, Toute Cette Infâme Et

Honteuse Clique. D'ailleurs, Je Trouvais, Au Dedans De Moi, Assez Juste

Que Le Roi, Qui N'avait Jamais Dans Sa Vie Goûté Plus Délicieusement

Aucun Plaisir Que Celui D'inquiéter Tous Les Gens Qui L'entouraient

Sur Leur Santé, De Leur Annoncer La Mort Future Ou Prochaine, Savourât

D'avance, À Son Tour, La Sienne, Et Se Minât D'inquiétude. Je Vis Mon

Avis Prévaloir, Non Sans Regret, Mais Sans Remords, Et J'en Aurais

Eu Beaucoup De Ne L'avoir Pas Donné, Quoiqu'encore Une Fois Je Fusse

Très-Contrarié De Le Voir Suivi. Il Fut Donc Décidé Qu'on Ne Parlerait

Point Au Roi Du Caractère De Sa Maladie, Qu'on Ne La Lui Nommerait

Point, Mais Qu'on Ne L'empĂŞcherait Pourtant Pas De La Deviner, Si Le

Traitement Qu'on Lui Ferait Et Les Boutons Qui Se Multiplieraient Lui En

Donnaient Connaissance.

 

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 280

[Note 317: Le Duc De Villequier.]

 

Cependant La Joie Qu'avaient Eue Mm. De Bouillon Et D'aumont, En

Apprenant Que Le Roi Avait La Petite VĂ©role, Ne Dura Pas Longtemps. Leur

Espérance Ou Plutôt Leur Certitude D'une Guérison Prochaine Ne Tarda Pas

À S'évanouir, Et Ils S'aperçurent, Après Quelques Moments De Réflexion,

Qu'un Vieillard De Plus De Soixante Ans, Qui A La Petite VĂ©role, Ne Se

Porte Pas Bien, Et Est Dans Quelque Danger. D'ailleurs, L'Ă©tat Du Roi

Était Même Plus Fâcheux Que Ne L'est Communément À Cette Époque Celui De

Ceux Qui Ont Cette Maladie. Son Affaissement Continuait; Il Se Plaignait

De Douleurs Sourdes De Tête, Et L'agitation Était Excessive Malgré

L'abattement. Il Ne Parlait Pas, Et Avait Les Yeux Fixes Et Hagards. La

Fièvre, Qui Était Toujours Très-Considérable, Augmentait Fréquemment Et

Par Bouffées, Et Lemonnier, Qui Le Veillait, En Disant Qu'il Était

Comme Il Devait ĂŠtre, Avait Bien L'air De Ne Pas Dire Ce Qu'il Pensait.

J'aurais Dès Lors Été Fort Effrayé De L'état Du Roi Si J'avais Pris

Quelque Intérêt À La Conservation De Ses Jours. Son Affaissement, Le Peu

D'inquiétude Qu'il Témoignait, Lui Qui Était L'homme Du Monde Le Plus

Douillet Et Le Plus Penaud, Me Paraissaient La Preuve La Plus DĂ©cisive

Du Danger De Son État À Ajouter Au Danger Seul De La Nature De Sa

Maladie. Mm. D'aumont Et De Bouillon, Qui Veillaient Comme Moi, Se

Montraient D'une Grande Inquiétude. Ils Se Donnaient L'un Et L'autre

Pour Aimer Le Roi Tendrement, Et S'entretenaient Toujours De Ses Rares

Et Sublimes Qualités. Leur Conversation Était Souvent Interrompue Par De

Tendres Et Profonds Soupirs, Par Des Sanglots, Par Des GĂ©missements,

Et Quelquefois Aussi Par Des Moments De Sommeil; Car Heureusement Leur

Inquiétude Et Leur Douleur Ne Leur Ôtaient Pas Toute Faculté De

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