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Read books online » Fiction » Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 2 by Jules Verne (love letters to the dead txt) 📖

Book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 2 by Jules Verne (love letters to the dead txt) 📖». Author Jules Verne



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dans la cage du timonier, pendant qu'il dirigeait lui-mĂŞme le Nautilus Ă  travers cet Ă©troit passage.

— Vous entendez, Ned ? dit Conseil.

— Et vous qui avez de si bons yeux, ajoutai-je, vous pouvez, Ned, apercevoir les jetĂ©es de Port-SaĂŻd qui s'allongent dans la mer. Â»

Le Canadien regarda attentivement.

« En effet, dit-il, vous avez raison, monsieur le professeur, et votre capitaine est un maĂ®tre homme. Nous sommes dans la MĂ©diterranĂ©e. Bon. Causons donc, s'il vous plaĂ®t, de nos petites affaires, mais de façon Ă  ce que personne ne puisse nous entendre. Â»

Je vis bien où le Canadien voulait en venir. En tout cas, je pensai qu'il valait mieux causer, puisqu'il le désirait, et tous les trois nous allâmes nous asseoir près du fanal, où nous étions moins exposés à recevoir l'humide embrun des lames.

« Maintenant, Ned, nous vous Ă©coutons, dis-je. Qu'avez-vous Ă  nous apprendre ?

— Ce que j'ai Ă  vous apprendre est très simple, rĂ©pondit le Canadien. Nous sommes en Europe, et avant que les caprices du capitaine Nemo nous entraĂ®nent jusqu'au fond des mers polaires ou nous ramènent en OcĂ©anie, je demande Ă  quitter le Nautilus.  Â»

J'avouerai que cette discussion avec le Canadien m'embarrassait toujours. Je ne voulais en aucune façon entraver la libertĂ© de mes compagnons, et cependant je n'Ă©prouvais nul dĂ©sir de quitter le capitaine Nemo. Grâce Ă  lui, grâce Ă  son appareil, je complĂ©tais chaque jour mes Ă©tudes sous-marines, et je refaisais mon livre des fonds sous-marins au milieu mĂŞme de son Ă©lĂ©ment. Retrouverais-je jamais une telle occasion d'observer les merveilles de l'OcĂ©an ? Non, certes ! Je ne pouvais donc me faire Ă  cette idĂ©e d'abandonner le Nautilus avant notre cycle d'investigations accompli.

« Ami Ned, dis-je, rĂ©pondez-moi franchement. Vous ennuyez-vous Ă  bord ? Regrettez-vous que la destinĂ©e vous ait jetĂ© entre les mains du capitaine Nemo ? Â»

Le Canadien resta quelques instants sans rĂ©pondre. Puis, se croisant les bras :

« Franchement, dit-il, je ne regrette pas ce voyage sous les mers. Je serai content de l'avoir fait ; mais pour l'avoir fait, il faut qu'il se termine. VoilĂ  mon sentiment.

— Il se terminera, Ned.

— OĂą et quand ?

— OĂą ? je n'en sais rien. Quand ? je ne peux le dire, ou plutĂ´t je suppose qu'il s'achèvera, lorsque ces mers n'auront plus rien Ă  nous apprendre. Tout ce qui a commencĂ© a forcĂ©ment une fin en ce monde.

— Je pense comme monsieur, répondit Conseil, et il est fort possible qu'après avoir parcouru toutes les mers du globe, le capitaine Nemo nous donne la volée à tous trois.

— La volĂ©e ! s'Ă©cria le Canadien. Une volĂ©e, voulez-vous dire ?

— N'exagérons pas, maître Land, repris-je. Nous n'avons rien à craindre du capitaine, mais je ne partage pas non plus les idées de Conseil. Nous sommes maîtres des secrets du Nautilus, et je n'espère pas que son commandant, pour nous rendre notre liberté, se résigne à les voir courir le monde avec nous.

— Mais alors, qu'espĂ©rez-vous donc ? demanda le Canadien.

— Que des circonstances se rencontreront dont nous pourrons, dont nous devrons profiter, aussi bien dans six mois que maintenant.

— Ouais ! fit Ned Land. Et oĂą serons-nous dans six mois, s'il vous plaĂ®t, monsieur le naturaliste ?

— Peut-ĂŞtre ici, peut-ĂŞtre en Chine. Vous le savez, le Nautilus est un rapide marcheur. Il traverse les ocĂ©ans comme une hirondelle traverse les airs, ou un express les continents. Il ne craint point les mers frĂ©quentĂ©es. Qui nous dit qu'il ne va pas rallier les cĂ´tes de France, d'Angleterre ou d'AmĂ©rique, sur lesquelles une fuite pourra ĂŞtre aussi avantageusement tentĂ©e qu'ici ?

— Monsieur Aronnax, rĂ©pondit le Canadien, vos arguments pèchent par la base. Vous parlez au futur : « Nous serons lĂ  ! Nous serons ici ! Â» Moi je parle au prĂ©sent : « Nous sommes ici, et il faut en profiter. Â» Â»

J'étais pressé de près par la logique de Ned Land, et je me sentais battu sur ce terrain. Je ne savais plus quels arguments faire valoir en ma faveur.

« Monsieur, reprit Ned, supposons, par impossible, que le capitaine Nemo vous offre aujourd'hui mĂŞme la libertĂ©. Accepterez-vous ?

— Je ne sais, répondis-je.

— Et s'il ajoute que cette offre qu'il vous fait aujourd'hui, il ne la renouvellera pas plus tard, accepterez-vous ? Â»

Je ne répondis pas.

« Et qu'en pense l'ami Conseil ? demanda Ned Land.

— L'ami Conseil, rĂ©pondit tranquillement ce digne garçon, l'ami Conseil n'a rien Ă  dire. Il est absolument dĂ©sintĂ©ressĂ© dans la question. Ainsi que son maĂ®tre, ainsi que son camarade Ned, il est cĂ©libataire. Ni femme, ni parents, ni enfants ne l'attendent au pays. Il est au service de monsieur, il pense comme monsieur, il parle comme monsieur, et, Ă  son grand regret, on ne doit pas compter sur lui pour faire une majoritĂ©. Deux personnes seulement sont en prĂ©sence : monsieur d'un cĂ´tĂ©, Ned Land de l'autre. Cela dit, l'ami Conseil Ă©coute, et il est prĂŞt Ă  marquer les points. Â»

Je ne pus m'empêcher de sourire, à voir Conseil annihiler si complètement sa personnalité. Au fond, le Canadien devait être enchanté de ne pas l'avoir contre lui.

« Alors, monsieur, dit Ned Land, puisque Conseil n'existe pas, ne discutons qu'entre nous deux. J'ai parlĂ©, vous m'avez entendu. Qu'avez-vous Ă  rĂ©pondre ? Â»

Il fallait évidemment conclure, et les faux-fuyants me répugnaient.

« Ami Ned, dis-je, voici ma rĂ©ponse. Vous avez raison contre moi, et mes arguments ne peuvent tenir devant les vĂ´tres. Il ne faut pas compter sur la bonne volontĂ© du capitaine Nemo. La prudence la plus vulgaire lui dĂ©fend de nous mettre en libertĂ©. Par contre, la prudence veut que nous profitions de la première occasion de quitter le Nautilus.

— Bien, monsieur Aronnax, voilà qui est sagement parlé.

— Seulement, dis-je, une observation, une seule. Il faut que l'occasion soit sĂ©rieuse. Il faut que notre première tentative de fuite rĂ©ussisse ; car si elle avorte, nous ne retrouverons pas l'occasion de la reprendre, et le capitaine Nemo ne nous pardonnera pas.

— Tout cela est juste, rĂ©pondit le Canadien. Mais votre observation s'applique Ă  toute tentative de fuite, qu'elle ait lieu dans deux ans ou dans deux jours. Donc, la question est toujours celle-ci : si une occasion favorable se prĂ©sente, il faut la saisir.

— D'accord. Et maintenant, me direz-vous. Ned, ce que vous entendez par une occasion favorable ?

— Ce serait celle qui, par une nuit sombre, amènerait le Nautilus à peu de distance d'une côte européenne.

€” Et vous tenteriez de vous sauver Ă  la nage ?

Oui, si nous étions suffisamment rapprochés d'un rivage, et si le navire flottait à la surface. Non, si nous étions éloignés, et si le navire naviguait sous les eaux.

— Et dans ce cas ?

— Dans ce cas, je chercherais à m'emparer du canot. Je sais comment il se manoeuvre. Nous nous introduirions à l'intérieur, et les boulons enlevés, nous remonterions à la surface, sans même que le timonier, placé à l'avant, s'aperçût de notre fuite.

— Bien, Ned. Épiez donc cette occasion ; mais n'oubliez pas qu'un Ă©chec nous perdrait.

— Je ne l'oublierai pas, monsieur.

— Et maintenant, Ned, voulez-vous connaĂ®tre toute ma pensĂ©e sur votre projet ?

— Volontiers, monsieur Aronnax.

— Eh bien, je pense — je ne dis pas j'espère — je pense que cette occasion favorable ne se présentera pas.

— Pourquoi cela ?

— Parce que le capitaine Nemo ne peut se dissimuler que nous n'avons pas renoncé à l'espoir de recouvrer notre liberté, et qu'il se tiendra sur ses gardes, surtout dans les mers et en vue des côtes européennes.

— Je suis de l'avis de monsieur, dit Conseil.

— Nous verrons bien, répondit Ned Land, qui secouait la tête d'un air déterminé.

— Et maintenant, Ned Land, ajoutai-je, restons-en lĂ . Plus un mot sur tout ceci. Le jour oĂą vous serez prĂŞt, vous nous prĂ©viendrez et nous vous suivrons. Je m'en rapporte complètement Ă  vous. Â»

Cette conversation, qui devait avoir plus tard de si graves consĂ©quences, se termina ainsi. Je dois dire maintenant que les faits semblèrent confirmer mes prĂ©visions au grand dĂ©sespoir du Canadien. Le capitaine Nemo se dĂ©fiait-il de nous dans ces mers frĂ©quentĂ©es, ou voulait-il seulement se dĂ©rober Ă  la vue des nombreux navires de toutes nations qui sillonnent la MĂ©diterranĂ©e ? Je l'ignore, mais il se maintint le plus souvent entre deux eaux et au large des cĂ´tes. Ou le Nautilus Ă©mergeait, ne laissant passer que la cage du timonier, ou il s'en allait Ă  de grandes profondeurs, car entre l'archipel grec et l'Asie Mineure nous ne trouvions pas le fond par deux mille mètres.

Aussi, je n'eus connaissance de l'Ă®le de Carpathos, l'une des Sporades, que par ce vers de Virgile que le capitaine Nemo me cita, en posant son doigt sur un point du planisphère :

Est in Carpathio Neptuni gurgite vates
Coeruleus Proteus...

C'était, en effet, l'antique séjour de Protée, le vieux pasteur des troupeaux de Neptune, maintenant l'île de Scarpanto, située entre Rhodes et la Crète. Je n'en vis que les soubassements granitiques à travers la vitre du salon.

Le lendemain, 14 fĂ©vrier, je rĂ©solus d'employer quelques heures Ă  Ă©tudier les poissons de l'Archipel ; mais par un motif quelconque, les panneaux demeurèrent hermĂ©tiquement fermĂ©s. En relevant la direction du Nautilus, je remarquai qu'il marchait vers Candie, l'ancienne Ă®le de Crète. Au moment oĂą je m'Ă©tais embarquĂ© sur I'Abraham-Lincoln, cette Ă®le venait de s'insurger tout entière contre le despotisme turc. Mais ce qu'Ă©tait devenue cette insurrection depuis cette Ă©poque, je l'ignorais absolument, et ce n'Ă©tait pas le capitaine Nemo, privĂ© de toute communication avec la terre, qui aurait pu me l'apprendre.

Je ne fis donc aucune allusion Ă  cet Ă©vĂ©nement, lorsque, le soir, je me trouvai seul avec lui dans le salon. D'ailleurs, il me sembla taciturne, prĂ©occupĂ©. Puis, contrairement Ă  ses habitudes, il ordonna d'ouvrir les deux panneaux du salon, et, allant de l'un Ă  l'autre, il observa attentivement la masse des eaux. Dans quel but ? Je ne pouvais le deviner, et, de mon cĂ´tĂ©, j'employai mon temps Ă  Ă©tudier les poissons qui passaient devant mes yeux.

Entre autres, je remarquai ces gobies aphyses, citĂ©es par Aristote et vulgairement connues sous le nom de « loches de mer Â», que l'on rencontre particulièrement dans les eaux salĂ©es avoisinant le delta du Nil. Près d'elles se dĂ©roulaient des pagres Ă  demi phosphorescents, sortes de spares que les Égyptiens rangeaient parmi les animaux sacrĂ©s, et dont l'arrivĂ©e dans les eaux du Reuve, dont elles annonçaient le fĂ©cond dĂ©bordement, Ă©tait fĂŞtĂ©e par des cĂ©rĂ©monies religieuses. Je notai Ă©galement des cheilines longues de trois dĂ©cimètres, poissons osseux Ă  Ă©cailles transparentes, dont la couleur livide est mĂ©langĂ©e de taches rouges ; ce sont de grands mangeurs de vĂ©gĂ©taux marins, ce qui leur donne un goĂ»t exquis ; aussi ces cheilines Ă©taient-elles très recherchĂ©es des gourmets de l'ancienne Rome, et leurs entrailles, accommodĂ©es avec des laites de murènes, des cervelles de paons et des langues de phĂ©nicoptères, composaient ce plat divin qui ravissait Vitellius.

Un autre habitant de ces mers attira mon attention et ramena dans mon esprit tous les souvenirs de l'antiquitĂ©. Ce fut le rĂ©mora qui voyage attachĂ© au ventre des requins ; au dire des anciens, ce petit poisson, accrochĂ© Ă  la carène d'un navire, pouvait l'arrĂŞter dans sa marche, et l'un d'eux, retenant le vaisseau d'Antoine pendant la bataille d'Actium, facilita ainsi la victoire d'Auguste. A quoi tiennent les destinĂ©es des nations ! J'observai Ă©galement d'admirables anthias qui appartiennent Ă  l'ordre des lutjans, poissons sacrĂ©s pour les Grecs qui leur attribuaient le pouvoir de chasser les monstres marins des eaux qu'ils frĂ©quentaient ; leur nom signifie, fleur, et ils le justifiaient par leurs couleurs chatoyantes, leurs nuances comprises dans la gamme du rouge depuis la pâleur du rose jusqu'Ă  l'Ă©clat du rubis, et les fugitifs reflets qui moiraient leur nageoire dorsale. Mes yeux ne pouvaient se dĂ©tacher de ces merveilles de la mer, quand ils furent frappĂ©s soudain par une apparition inattendue.

Au milieu des eaux, un homme apparut, un plongeur portant à sa ceinture une bourse de cuir. Ce n'était pas un corps abandonné aux flots. C'était un homme vivant qui nageait d'une main vigoureuse, disparaissant parfois pour aller respirer à la surface et replongeant aussitôt.

Je me retournai vers le capitaine Nemo, et d'une voix Ă©mue :

« Un homme ! un naufragĂ© ! m'Ă©criai-je. Il faut le sauver Ă  tout prix ! Â»

Le capitaine ne me répondit pas et vint s'appuyer à la vitre.

L'homme s'était rapproché, et, la face collée au panneau, il nous regardait.

A ma profonde stupéfaction, le capitaine Nemo lui fit un signe. Le plongeur lui répondit de la main,

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