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Read books online » Fiction » Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 1 by Jules Verne (psychology books to read .txt) 📖

Book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 1 by Jules Verne (psychology books to read .txt) 📖». Author Jules Verne



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vous connaĂ®tre d'abord, rĂ©flĂ©chir ensuite. Votre quadruple rĂ©cit, absolument semblable au fond, m'a affirmĂ© l'identitĂ© de vos personnes. Je sais maintenant que le hasard a mis en ma prĂ©sence monsieur Pierre Aronnax, professeur d'histoire naturelle au MusĂ©um de Paris, chargĂ© d'une mission scientifique Ă  l'Ă©tranger, Conseil son domestique, et Ned Land, d'origine canadienne, harponneur Ă  bord de la frĂ©gate l'Abraham-Lincoln, de la marine nationale des États-Unis d'AmĂ©rique. Â»

Je m'inclinai d'un air d'assentiment. Ce n'Ă©tait pas une question que me posait le commandant. Donc, pas de rĂ©ponse Ă  faire. Cet homme s'exprimait avec une aisance parfaite, sans aucun accent. Sa phrase Ă©tait nette, ses mots justes, sa facilitĂ© d'Ă©locution remarquable. Et cependant, je ne « sentais Â» pas en lui un compatriote.

Il reprit la conversation en ces termes :

« Vous avez trouvĂ© sans doute, monsieur, que j'ai longtemps tardĂ© Ă  vous rendre cette seconde visite. C'est que, votre identitĂ© reconnue, je voulais peser mĂ»rement le parti Ă  prendre envers vous. J'ai beaucoup hĂ©sitĂ©. Les plus fâcheuses circonstances vous ont mis en prĂ©sence d'un homme qui a rompu avec l'humanitĂ©. Vous ĂŞtes venu troubler mon existence...

— Involontairement, dis-je.

— Involontairement ? rĂ©pondit l'inconnu, en forçant un peu sa voix. Est-ce involontairement que l'Abraham-Lincoln me chasse sur toutes les mers ? Est-ce involontairement que vous avez pris passage Ă  bord de cette frĂ©gate ? Est-ce involontairement que vos boulets ont rebondi sur la coque de mon navire ? Est-ce involontairement que maĂ®tre Ned Land m'a frappĂ© de son harpon ? Â»

Je surpris dans ces paroles une irritation contenue. Mais, à ces récriminations j'avais une réponse toute naturelle à faire, et je la fis.

« Monsieur, dis-je, vous ignorez sans doute les discussions qui ont eu lieu Ă  votre sujet en AmĂ©rique et en Europe. Vous ne savez pas que divers accidents, provoquĂ©s par le choc de votre appareil sous-marin, ont Ă©mu l'opinion publique dans les deux continents. Je vous fais grâce des hypothèses sans nombre par lesquelles on cherchait Ă  expliquer l'inexplicable phĂ©nomène dont seul vous aviez le secret. Mais sachez qu'en vous poursuivant jusque sur les hautes mers du Pacifique, l'Abraham-Lincoln croyait chasser quelque puissant monstre marin dont il fallait Ă  tout prix dĂ©livrer l'OcĂ©an. Â»

Un demi-sourire dĂ©tendit les lèvres du commandant, puis, d'un ton plus calme :

« Monsieur Aronnax, rĂ©pondit-il, oseriez-vous affirmer que votre frĂ©gate n'aurait pas poursuivi et canonnĂ© un bateau sous-marin aussi bien qu'un monstre ? Â»

Cette question m'embarrassa, car certainement le commandant Farragut n'eût pas hésité. Il eût cru de son devoir de détruire un appareil de ce genre tout comme un narwal gigantesque.

« Vous comprenez donc, monsieur, reprit l'inconnu, que j'ai le droit de vous traiter en ennemis. Â»

Je ne répondis rien, et pour cause. A quoi bon discuter une proposition semblable, quand la force peut détruire les meilleurs arguments.

« J'ai longtemps hĂ©sitĂ©, reprit le commandant. Rien ne m'obligeait Ă  vous donner l'hospitalitĂ©. Si je devais me sĂ©parer de vous, je n'avais aucun intĂ©rĂŞt Ă  vous revoir. Je vous remettais sur la plate-forme de ce navire qui vous avait servi de refuge. Je m'enfonçais sous les mers, et j'oubliais que vous aviez jamais existĂ©. N'Ă©tait-ce pas mon droit ?

— C'était peut-être le droit d'un sauvage, répondis-je, ce n'était pas celui d'un homme civilisé.

— Monsieur le professeur, rĂ©pliqua vivement le commandant, je ne suis pas ce que vous appelez un homme civilisĂ© ! J'ai rompu avec la sociĂ©tĂ© tout entière pour des raisons que moi seul j'ai le droit d'apprĂ©cier. Je n'obĂ©is donc point Ă  ses règles, et je vous engage Ă  ne jamais les invoquer devant moi ! Â»

Ceci fut dit nettement. Un Ă©clair de colère et de dĂ©dain avait allumĂ© les yeux de l'inconnu, et dans la vie de cet homme, j'entrevis un passĂ© formidable. Non seulement il s'Ă©tait mis en dehors des lois humaines, mais il s'Ă©tait fait indĂ©pendant, libre dans la plus rigoureuse acception du mot, hors de toute atteinte ! Qui donc oserait le poursuivre au fond des mers, puisque, Ă  leur surface, il dĂ©jouait les efforts tentĂ©s contre lui ? Quel navire rĂ©sisterait au choc de son monitor sous-marin ? Quelle cuirasse, si Ă©paisse qu'elle fĂ»t, supporterait les coups de son Ă©peron ? Nul, entre les hommes, ne pouvait lui demander compte de ses oeuvres. Dieu, s'il y croyait, sa conscience, s'il en avait une, Ă©taient les seuls juges dont il put dĂ©pendre.

Ces réflexions traversèrent rapidement mon esprit, pendant que l'étrange personnage se taisait, absorbé et comme retiré en lui-même. Je le considérais avec un effroi mélangé d'intérêt, et sans doute, ainsi qu'Oedipe considérait le Sphinx.

Après un assez long silence, le commandant reprit la parole.

« J'ai donc hĂ©sitĂ©, dit-il, mais j'ai pensĂ© que mon intĂ©rĂŞt pouvait s'accorder avec cette pitiĂ© naturelle Ă  laquelle tout ĂŞtre humain a droit. Vous resterez Ă  mon bord, puisque la fatalitĂ© vous y a jetĂ©s. Vous y serez libres, et, en Ă©change de cette libertĂ©, toute relative d'ailleurs, je ne vous imposerai qu'une seule condition. Votre parole de vous y soumettre me suffira.

— Parlez, monsieur, rĂ©pondis-je, je pense que cette condition est de celles qu'un honnĂŞte homme peut accepter ?

— Oui, monsieur, et la voici. Il est possible que certains Ă©vĂ©nements imprĂ©vus m'obligent Ă  vous consigner dans vos cabines pour quelques heures ou quelques jours, suivant le cas. DĂ©sirant ne jamais employer la violence, j'attends de vous, dans ce cas, plus encore que dans tous les autres, une obĂ©issance passive. En agissant ainsi, je couvre votre responsabilitĂ©, je vous dĂ©gage entièrement, car c'est Ă  moi de vous mettre dans l'impossibilitĂ© de voir ce qui ne doit pas ĂŞtre vu. Acceptez-vous cette condition ? Â»

Il se passait donc Ă  bord des choses tout au moins singulières, et que ne devaient point voir des gens qui ne s'Ă©taient pas mis hors des lois sociales ! Entre les surprises que l'avenir me mĂ©nageait, celle-ci ne devait pas ĂŞtre la moindre.

« Nous acceptons, rĂ©pondis-je. Seulement, je vous demanderai, monsieur, la permission de vous adresser une question, une seule.

— Parlez, monsieur.

— Vous avez dit que nous serions libres Ă  votre bord ?

— Entièrement.

— Je vous demanderai donc ce que vous entendez par cette liberté.

— Mais la libertĂ© d'aller, de venir, de voir, d'observer mĂŞme tout ce qui se passe ici - sauf en quelques circonstances graves - , la libertĂ© enfin dont nous jouissons nous-mĂŞmes, mes compagnons et moi. Â»

Il Ă©tait Ă©vident que nous ne nous entendions point.

« Pardon, monsieur, repris-je, mais cette libertĂ©, ce n'est que celle que tout prisonnier a de parcourir sa prison ! Elle ne peut nous suffire.

— Il faudra, cependant, qu'elle vous suffise !

— Quoi ! nous devons renoncer Ă  jamais de revoir notre patrie, nos amis, nos parents !

— Oui, monsieur. Mais renoncer Ă  reprendre cet insupportable joug de la terre, que les hommes croient ĂŞtre la libertĂ©, n'est peut-ĂŞtre pas aussi pĂ©nible que vous le pensez !

— Par exemple, s'Ă©cria Ned Land, jamais je ne donnerai ma parole de ne pas chercher Ă  me sauver !

— Je ne vous demande pas de parole, maître Land répondit froidement le commandant.

— Monsieur, rĂ©pondis-je, emportĂ© malgrĂ© moi, vous abusez de votre situation envers nous ! C'est de la cruautĂ© !

— Non, monsieur, c'est de la clĂ©mence ! Vous ĂŞtes mes prisonniers après combat ! Je vous garde, quand je pourrais d'un mot vous replonger dans les abĂ®mes de l'OcĂ©an ! Vous m'avez attaquĂ© ! Vous ĂŞtes venus surprendre un secret que nul homme au monde ne doit pĂ©nĂ©trer, le secret de toute mon existence ! Et vous croyez que Je vais vous renvoyer sur cette terre qui ne doit plus me connaĂ®tre ! Jamais ! En vous retenant, ce n'est pas vous que je garde, c'est moi-mĂŞme ! Â»

Ces paroles indiquaient de la part du commandant un parti pris contre lequel ne prévaudrait aucun argument.

« Ainsi, monsieur, repris-je, vous nous donnez tout simplement Ă  choisir entre la vie ou la mort ?

— Tout simplement.

— Mes amis, dis-je, à une question ainsi posée, il n'y a rien à répondre. Mais aucune parole ne nous lie au maître de ce bord.

— Aucune, monsieur Â», rĂ©pondit l'inconnu.

Puis, d'une voix plus douce, il reprit :

« Maintenant, permettez-moi d'achever ce que j'ai Ă  vous dire. Je vous connais, monsieur Aronnax. Vous, sinon vos compagnons, vous n'aurez peut-ĂŞtre pas tant Ă  vous plaindre du hasard qui vous lie Ă  mon sort. Vous trouverez parmi les livres qui servent Ă  mes Ă©tudes favorites cet ouvrage que vous avez publiĂ© sur les grands fonds de la mer. Je l'ai souvent lu. Vous avez poussĂ© votre oeuvre aussi loin que vous le permettait la science terrestre. Mais vous ne savez pas tout, vous n'avez pas tout vu. Laissez-moi donc vous dire, monsieur le professeur, que vous ne regretterez pas le temps passĂ© Ă  mon bord. Vous allez voyager dans le pays des merveilles. L'Ă©tonnement, la stupĂ©faction seront probablement l'Ă©tat habituel de votre esprit. Vous ne vous blaserez pas facilement sur le spectacle incessamment offert Ă  vos yeux. Je vais revoir dans un nouveau tour du monde sous-marin - qui sait ? le dernier peut-ĂŞtre - tout ce que j'ai pu Ă©tudier au fond de ces mers tant de fois parcourues, et vous serez mon compagnon d'Ă©tudes. A partir de ce jour, vous entrez dans un nouvel Ă©lĂ©ment, vous verrez ce que n'a vu encore aucun homme car moi et les miens nous ne comptons plus - et notre planète, grâce Ă  moi, va vous livrer ses derniers secrets. Â»

Je ne puis le nier ; ces paroles du commandant firent sur moi un grand effet. J'Ă©tais pris lĂ  par mon faible, et j'oubliai, pour un instant, que la contemplation de ces choses sublimes ne pouvait valoir la libertĂ© perdue. D'ailleurs, je comptais sur l'avenir pour trancher cette grave question. Ainsi, je me contentai de rĂ©pondre :

« Messieurs, si vous avez brisĂ© avec l'humanitĂ©, je veux croire que vous n'avez pas reniĂ© tout sentiment humain. Nous sommes des naufragĂ©s charitablement recueillis Ă  votre bord, nous ne l'oublierons pas. Quant Ă  moi, je ne mĂ©connais pas que, si l'intĂ©rĂŞt de la science pouvait absorber jusqu'au besoin de libertĂ©, ce que me promet notre rencontre m'offrirait de grandes compensations. Â»

Je pensais que le commandant allait me tendre la main pour sceller notre traité. Il n'en fit rien. Je le regrettai pour lui.

« Une dernière question, dis-je, au moment oĂą cet ĂŞtre inexplicable semblait vouloir se retirer.

— Parlez, monsieur le professeur.

— De quel nom dois-je vous appeler ?

— Monsieur, rĂ©pondit le commandant, je ne suis pour vous que le capitaine Nemo, et vos compagnons et vous, n'ĂŞtes pour moi que les passagers du Nautilus. Â»

Le capitaine Nemo appela. Un stewart parut. Le capitaine lui donna ses ordres dans cette langue Ă©trangère que je ne pouvais reconnaĂ®tre. Puis, se tournant vers le Canadien et Conseil :

« Un repas vous attend dans votre cabine, leur dit-il. Veuillez suivre cet homme.

— Ça n'est pas de refus ! Â» rĂ©pondit le harponneur.

Conseil et lui sortirent enfin de cette cellule où ils étaient renfermés depuis plus de trente heures.

« Et maintenant, monsieur Aronnax, notre dĂ©jeuner est prĂŞt. Permettez-moi de vous prĂ©cĂ©der.

— A vos ordres, capitaine. Â»

Je suivis le capitaine Nemo, et dès que j'eus franchi la porte, je pris une sorte de couloir électriquement éclairé, semblable aux coursives d'un navire. Après un parcours d'une dizaine de mètres, une seconde porte s'ouvrit devant moi.

J'entrai alors dans une salle à manger ornée et meublée avec un goût sévère. De hauts dressoirs de chêne, incrustés d'ornements d'ébène, s'élevaient aux deux extrémités de cette salle, et sur leurs rayons à ligne ondulée étincelaient des faïences, des porcelaines, des verreries d'un prix inestimable. La vaisselle plate y resplendissait sous les rayons que versait un plafond lumineux, dont de fines peintures tamisaient et adoucissaient l'éclat.

Au centre de la salle Ă©tait une table richement servie. Le capitaine Nemo m'indiqua la place que je devais occuper.

« Asseyez-vous, me dit-il, et mangez comme un homme qui doit mourir de faim. Â»

Le déjeuner se composait d'un certain nombre de plats dont la mer seule avait fourni le contenu, et de quelques mets dont j'ignorais la nature et la provenance. J'avouerai que c'était bon, mais avec un goût particulier auquel je m'habituai facilement. Ces divers aliments me parurent riches en phosphore, et je pensai qu'ils devaient avoir une origine marine.

Le capitaine Nemo me regardait. Je ne lui demandai rien, mais il devina mes pensées, et il répondit de lui-même aux questions que je brûlais de lui adresser.

« La plupart de ces mets vous sont inconnus, me dit-il. Cependant, vous pouvez en user sans crainte. Ils sont sains

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