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Read books online » Fiction » L'île mystérieuse by Jules Verne (easy to read books for adults list TXT) 📖

Book online «L'île mystérieuse by Jules Verne (easy to read books for adults list TXT) 📖». Author Jules Verne



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l'avait aussi vêtu plus convenablement, après l'avoir débarrassé de ce lambeau d'étoffe qui le couvrait.

Il en résulta que, grâce à ces soins, l'inconnu reprit figure humaine, et il sembla même que ses yeux fussent redevenus plus doux. Certainement, quand l'intelligence l'éclairait autrefois, la figure de cet homme devait avoir une sorte de beauté.

Chaque jour, Cyrus Smith s'imposa la tâche de passer quelques heures dans sa compagnie. Il venait travailler près de lui et s'occupait de diverses choses, de manière à fixer son attention. Il pouvait suffire, en effet, d'un éclair pour rallumer cette âme, d'un souvenir qui traversât ce cerveau pour y rappeler la raison. On l'avait bien vu, pendant la tempête, à bord du Bonadventure!

L'ingénieur ne négligeait pas non plus de parler à haute voix, de manière à pénétrer à la fois par les organes de l'ouïe et de la vue jusqu'au fond de cette intelligence engourdie. Tantôt l'un de ses compagnons, tantôt l'autre, quelquefois tous, se joignaient à lui. Ils causaient le plus souvent de choses ayant rapport à la marine, qui devaient toucher davantage un marin. Par moments, l'inconnu prêtait comme une vague attention à ce qui se disait, et les colons arrivèrent bientôt à cette persuasion qu'il les comprenait en partie. Quelquefois même l'expression de son visage était profondément douloureuse, preuve qu'il souffrait intérieurement; car sa physionomie n'aurait pu tromper à ce point; mais il ne parlait pas, bien qu'à diverses reprises, cependant, on pût croire que quelques paroles allaient s'échapper de ses lèvres.

Quoi qu'il en fût, le pauvre être était calme et triste! Mais son calme n'était-il qu'apparent?

Sa tristesse n'était-elle que la conséquence de sa séquestration? On ne pouvait rien affirmer encore.

Ne voyant plus que certains objets et dans un champ limité, sans cesse en contact avec les colons, auxquels il devait finir par s'habituer, n'ayant aucun désir à satisfaire, mieux nourri, mieux vêtu, il était naturel que sa nature physique se modifiât peu à peu; mais s'était-il pénétré d'une vie nouvelle, ou bien, pour employer un mot qui pouvait justement s'appliquer à lui, ne s'était-il qu'apprivoisé comme un animal vis-à-vis de son maître? C'était là une importante question, que Cyrus Smith avait hâte de résoudre, et cependant il ne voulait pas brusquer son malade!

Pour lui, l'inconnu n'était qu'un malade! Serait-ce jamais un convalescent? Aussi, comme l'ingénieur l'observait à tous moments!

Comme il guettait son âme, si l'on peut parler ainsi!

Comme il était prêt à la saisir!

Les colons suivaient avec une sincère émotion toutes les phases de cette cure entreprise par Cyrus Smith.

Ils l'aidaient aussi dans cette œuvre d'humanité, et tous, sauf peut-être l'incrédule Pencroff, ils en arrivèrent bientôt à partager son espérance et sa foi.

Le calme de l'inconnu était profond, on l'a dit, et il montrait pour l'ingénieur, dont il subissait visiblement l'influence, une sorte d'attachement.

Cyrus Smith résolut donc de l'éprouver, en le transportant dans un autre milieu, devant cet océan que ses yeux avaient autrefois l'habitude de contempler, à la lisière de ces forêts qui devaient lui rappeler celles où s'étaient passées tant d'années de sa vie!

«Mais, dit Gédéon Spilett, pouvons-nous espérer que, mis en liberté, il ne s'échappera pas?

— C'est une expérience à faire, répondit l'ingénieur.

— Bon! dit Pencroff. Quand ce gaillard-là aura l'espace devant lui et sentira le grand air, il filera à toutes jambes!

— Je ne le crois pas, répondit Cyrus Smith.

— Essayons, dit Gédéon Spilett.

— Essayons», répondit l'ingénieur.

Ce jour-là était le 30 octobre, et, par conséquent, il y avait neuf jours que le naufragé de l'île Tabor était prisonnier à Granite-House. Il faisait chaud, et un beau soleil dardait ses rayons sur l'île.

Cyrus Smith et Pencroff allèrent à la chambre occupée par l'inconnu, qu'ils trouvèrent couché près de la fenêtre et regardant le ciel.

«Venez, mon ami», lui dit l'ingénieur.

L'inconnu se leva aussitôt. Son œil se fixa sur Cyrus Smith, et il le suivit, tandis que le marin marchait derrière lui, peu confiant dans les résultats de l'expérience.

Arrivés à la porte, Cyrus Smith et Pencroff lui firent prendre place dans l'ascenseur, tandis que Nab, Harbert et Gédéon Spilett les attendaient au bas de Granite-House. La banne descendit, et en quelques instants tous furent réunis sur la grève.

Les colons s'éloignèrent un peu de l'inconnu, de manière à lui laisser quelque liberté.

Celui-ci fit quelques pas, en s'avançant vers la mer, et son regard brilla avec une animation extrême, mais il ne chercha aucunement à s'échapper. Il regardait les petites lames qui, brisées par l'îlot, venaient mourir sur le sable.

«Ce n'est encore que la mer, fit observer Gédéon Spilett, et il est possible qu'elle ne lui inspire pas le désir de s'enfuir!

— Oui, répondit Cyrus Smith, il faut le conduire au plateau, sur la lisière de la forêt. Là, l'expérience sera plus concluante.

— D'ailleurs, il ne pourra pas s'échapper, fit observer Nab, puisque les ponts sont relevés.

— Oh! fit Pencroff, c'est bien là un homme à s'embarrasser d'un ruisseau comme le creek-glycérine! Il aurait vite fait de le franchir, même d'un seul bond!

— Nous verrons bien», se contenta de répondre Cyrus Smith, dont les yeux ne quittaient pas ceux de son malade.

Celui-ci fut alors conduit vers l'embouchure de la Mercy, et tous, remontant la rive gauche de la rivière, gagnèrent le plateau de Grande-vue.

Arrivé à l'endroit où croissaient les premiers beaux arbres de la forêt, dont la brise agitait légèrement le feuillage, l'inconnu parut humer avec ivresse cette senteur pénétrante qui imprégnait l'atmosphère, et un long soupir s'échappa de sa poitrine!

Les colons se tenaient en arrière, prêts à le retenir, s'il eût fait un mouvement pour s'échapper!

Et, en effet, le pauvre être fut sur le point de s'élancer dans le creek qui le séparait de la forêt, et ses jambes se détendirent un instant comme un ressort... mais, presque aussitôt, il se replia sur lui-même, il s'affaissa à demi, et une grosse larme coula de ses yeux!

«Ah! s'écria Cyrus Smith, te voilà donc redevenu homme, puisque tu pleures!»

CHAPITRE XVI

Oui! Le malheureux avait pleuré! Quelque souvenir, sans doute, avait traversé son esprit, et, suivant l'expression de Cyrus Smith, il s'était refait homme par les larmes.

Les colons le laissèrent pendant quelque temps sur le plateau, et s'éloignèrent même un peu, de manière qu'il se sentît libre; mais il ne songea aucunement à profiter de cette liberté, et Cyrus Smith se décida bientôt à le ramener à Granite-House. Deux jours après cette scène, l'inconnu sembla vouloir se mêler peu à peu à la vie commune. Il était évident qu'il entendait, qu'il comprenait, mais non moins évident qu'il mettait une étrange obstination à ne pas parler aux colons, car, un soir, Pencroff, prêtant l'oreille à la porte de sa chambre, entendit ces mots s'échapper de ses lèvres: «Non! Ici! Moi! Jamais!»

Le marin rapporta ces paroles à ses compagnons.

«Il y a là quelque douloureux mystère!» dit Cyrus Smith.

L'inconnu avait commencé à se servir des outils de labourage, et il travaillait au potager. Quand il s'arrêtait dans sa besogne, ce qui arrivait souvent, il demeurait comme concentré en lui-même; mais, sur la recommandation de l'ingénieur, on respectait l'isolement qu'il paraissait vouloir garder. Si l'un des colons s'approchait de lui, il reculait, et des sanglots soulevaient sa poitrine, comme si elle en eût été trop pleine!

Était-ce donc le remords qui l'accablait ainsi?

On pouvait le croire, et Gédéon Spilett ne put s'empêcher de faire, un jour, cette observation:

«S'il ne parle pas, c'est qu'il aurait, je crois, des choses trop graves à dire!»

Il fallait être patient et attendre. Quelques jours plus tard, le 3 novembre, l'inconnu, travaillant sur le plateau, s'était arrêté, après avoir laissé tomber sa bêche à terre, et Cyrus Smith, qui l'observait à peu de distance, vit encore une fois des larmes qui coulaient de ses yeux. Une sorte de pitié irrésistible le conduisit vers lui, et il lui toucha le bras légèrement.

«Mon ami?» dit-il.

Le regard de l'inconnu chercha à l'éviter, et Cyrus Smith, ayant voulu lui prendre la main, il recula vivement.

«Mon ami, dit Cyrus Smith d'une voix plus ferme, regardez-moi, je le veux!»

L'inconnu regarda l'ingénieur et sembla être sous son influence, comme un magnétisé sous la puissance de son magnétiseur. Il voulut fuir. Mais alors il se fit dans sa physionomie comme une transformation. Son regard lança des éclairs. Des paroles cherchèrent à s'échapper de ses lèvres. Il ne pouvait plus se contenir!... enfin, il croisa les bras; puis, d'une voix sourde:

«Qui êtes-vous? demanda-t-il à Cyrus Smith.

— Des naufragés comme vous, répondit l'ingénieur, dont l'émotion était profonde. Nous vous avons amené ici, parmi vos semblables.

— Mes semblables!... je n'en ai pas!

— Vous êtes au milieu d'amis...

— Des amis!... À moi! Des amis! s'écria l'inconnu en cachant sa tête dans ses mains... non... jamais... laissez-moi! Laissez-moi!»

Puis, il s'enfuit du côté du plateau qui dominait la mer, et là il demeura longtemps immobile.

Cyrus Smith avait rejoint ses compagnons et leur racontait ce qui venait de se passer.

«Oui! Il y a un mystère dans la vie de cet homme, dit Gédéon Spilett, et il semble qu'il ne soit rentré dans l'humanité que par la voie du remords.

— Je ne sais trop quelle espèce d'homme nous avons ramené là, dit le marin. Il a des secrets...

— Que nous respecterons, répondit vivement Cyrus Smith. S'il a commis quelque faute, il l'a cruellement expiée, et, à nos yeux, il est absous.»

Pendant deux heures, l'inconnu demeura seul sur la plage, évidemment sous l'influence de souvenirs qui lui refaisaient tout son passé, — un passé funeste sans doute, — et les colons, sans le perdre de vue, ne cherchèrent point à troubler son isolement.

Cependant, après deux heures, il parut avoir pris une résolution, et il vint trouver Cyrus Smith. Ses yeux étaient rouges des larmes qu'il avait versées, mais il ne pleurait plus. Toute sa physionomie était empreinte d'une humilité profonde. Il semblait craintif, honteux, se faire tout petit, et son regard était constamment baissé vers la terre.

«Monsieur, dit-il à Cyrus Smith, vos compagnons et vous, êtes-vous anglais?

— Non, répondit l'ingénieur, nous sommes américains.

— Ah!» fit l'inconnu, et il murmura ces mots:

«J'aime mieux cela!

— Et vous, mon ami? demanda l'ingénieur.

— Anglais», répondit-il précipitamment.

Et, comme si ces quelques mots lui eussent pesé à dire, il s'éloigna de la grève, qu'il parcourut depuis la cascade jusqu'à l'embouchure de la Mercy, dans un état d'extrême agitation.

Puis, ayant passé à un certain moment près d'Harbert, il s'arrêta, et, d'une voix étranglée:

«Quel mois? lui demanda-t-il.

— Décembre, répondit Harbert.

— Quelle année?

— 1866.

— Douze ans! Douze ans!» s'écria-t-il.

Puis il le quitta brusquement.

Harbert avait rapporté aux colons les demandes et la réponse qui lui avaient été faites.

«Cet infortuné, fit observer Gédéon Spilett, n'était plus au courant ni des mois ni des années!

— Oui! ajouta Harbert, et il était depuis douze ans déjà sur l'îlot quand nous l'y avons trouvé!

— Douze ans! répondit Cyrus Smith. Ah! Douze ans d'isolement, après une existence maudite peut-être, peuvent bien altérer la raison d'un homme!

— Je suis porté à croire, dit alors Pencroff, que cet homme n'est point arrivé à l'île Tabor par naufrage, mais qu'à la suite de quelque crime, il y aura été abandonné.

— Vous devez avoir raison, Pencroff, répondit le reporter, et si cela est, il n'est pas impossible que ceux qui l'ont laissé sur l'île ne reviennent l'y rechercher un jour!

— Et ils ne le trouveront plus, dit Harbert.

— Mais alors, reprit Pencroff, il faudrait retourner, et...

— Mes amis, dit Cyrus Smith, ne traitons pas cette question avant de savoir à quoi nous en tenir. Je crois que ce malheureux a souffert, qu'il a durement expié ses fautes, quelles qu'elles soient, et que le besoin de s'épancher l'étouffe. Ne le provoquons pas à nous raconter son histoire! Il nous la dira sans doute, et, quand nous l'aurons apprise, nous verrons quel parti il conviendra de suivre. Lui seul, d'ailleurs, peut nous apprendre s'il a conservé plus que l'espoir, la certitude d'être rapatrié un jour, mais j'en doute!

— Et pourquoi? demanda le reporter.

— Parce que, dans le cas où il eût été sûr d'être délivré dans un temps déterminé, il aurait attendu l'heure de sa délivrance et n'eût pas jeté ce document à la mer. Non, il est plutôt probable qu'il était condamné à mourir sur cet îlot et qu'il ne devait plus jamais revoir ses semblables!

— Mais, fit observer le marin, il y a une chose que je ne puis pas m'expliquer.

— Laquelle?

— S'il y a douze ans que cet homme a été abandonné sur l'île Tabor, on peut bien supposer qu'il était depuis plusieurs années déjà dans cet état de sauvagerie où nous l'avons trouvé!

— Cela est probable, répondit Cyrus Smith.

— Il y aurait donc, par conséquent, plusieurs années qu'il aurait écrit ce document!

— Sans doute..., et cependant le document semblait récemment écrit!...

— D'ailleurs, comment admettre que la bouteille qui renfermait le document ait mis plusieurs années à venir de l'île Tabor à l'île Lincoln?

— Ce n'est pas absolument impossible, répondit le reporter. Ne pouvait-elle être depuis longtemps déjà sur les parages de l'île?

— Non, répondit Pencroff, car elle flottait encore. On ne peut pas même supposer qu'après avoir séjourné plus ou moins longtemps sur le rivage, elle

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