Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1 by C.-A. Sainte-Beuve (win 10 ebook reader txt) 📖
- Author: C.-A. Sainte-Beuve
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Temps Et Se Trouve Peu À Peu Et Sans Le Vouloir Mêlé À Leur Destinée:
Tout Cela Est Raconté Avec Une Simplicité Et Un Détail Ingénu Qui Finit
Par Piquer La Curiosité Elle-Même. Le Bon Pasteur, Dans Son Récit, Garde
Parfaitement Le Ton Qui Lui Est Propre, Et Rien Ne Le Fait S'en
Départir Jamais. On Peut Dire De Lui Ce Que L'auteur A Dit De Certains
Dessinateurs D'après Nature, Qu'il Réussit À Exprimer Ses Vues Et Ses
Impressions «Sinon Habilement, Du Moins Avec Une Naïveté Sentie, Avec
Une Gaucherie Fidèle.» L'habileté Est De La Part De L'auteur Qui Se
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 258Cache Si Bien Derrière. Il Y A Un Vrai Charme À Ce Parler Du Bon
Vieillard, Chez Qui La Candeur Est Toujours Éclairée Par La Charité Et
Par Les Lumières De L'évangile. Si L'auteur A Voulu Montrer Dans Ce
Ministre (Et Il L'a Voulu En Effet) Combien Avec Un Esprit Juste, Avec
Un Coeur Pur Et Droit, Exercé Par La Pratique Chrétienne, Guidé Par Les
Inspirations De L'écriture, Et Muni D'une Vigilance Et D'une Observation
Continuelles, On Peut Se Trouver En Fin De Compte Plus Avisé Que Les
Malicieux, Plus Habile Que Les Habiles, Et Véritablement Un Maître
Prudent Et Consommé Dans Les Traverses Les Plus Délicates De La Vie
Comme Dans Les Choses Du Coeur, Il A Complètement Réussi. Les Singuliers
Embarras De M. Bernier, Chargé Des Deux Nouvelles Ouailles Qu'il S'est
Données, Ses Tribulations Croissantes Et Toujours Consolées, Depuis Le
Moment Où Il Sort De L'hôtel Au Milieu Des Rires En Les Tenant Chacune
Sous Un Bras, Jusqu'au Jour Où Il Les Recueille Chez Lui Dans Sa Propre
Chambre Et Où La Grossesse De La Pauvre Rosa Se Déclare, Ces Incidents
Survenant Coup Sur Coup Et L'un À L'autre Enchaînés Sont Touchés Avec Un
Art Secret, Et Ménagés Avec Une Conduite Qui Fait L'intérêt Du Fond.
Le Doyen De Killerine, Ou Le Révérend Primerose, Dans Des Situations
Analogues, Ont Une Teinte Assez Prononcée De Ridicule, Que L'excellent
M. Bernier Sait Mieux Éviter. On Sourit De Lui, Mais On N'a Que Le Temps
De Sourire. Cet Homme Simple, Et Dont Le Lecteur Croit Devancer Parfois
La Sagacité, Se Trouve Toujours Au Niveau De Chaque Crise Et La Fait
Tourner À Bien. Il Y A Des Scènes Parfaitement Belles, Celle, Par
Exemple, Du Départ Improvisé De M. Bernier, Lorsque, Tout Sanglant De
La Chute Qu'il Vient De Faire, Il Monte, De Force Et D'adresse, Dans
La Voiture Où Le Baron De Bulow Enlevait Les Deux Amies. Le Moment Où
Gertrude Lui Apprend La Grossesse De Rosa Et Où Son Premier Sentiment,
Au Milieu Du Surcroît D'anxiété Qui Lui En Revient, Est D'aller À La
Jeune Mère Et De La Bénir, Arrache Des Larmes Par Sa Sublimité Simple.
Toutes Les Scènes Qui Se Rapportent À La Mort De Rosa Sont D'une Haute
Beauté Morale; Il Sera Sensible À Tout Lecteur Que Celui Qui Les A Si
Bien Conçues Et Représentées Travaillait, Lui Aussi, En Vue Du Sujet
Même, C'est-À-Dire Du Suprême Instant Et Qu'il Peignait _D'après
Nature_.
Il Y A Quelques Défauts Dans La Forme, Dans Le Style, Et Nous Les Dirons
Sincèrement. Topffer, On Le Sait, A Une Langue À Lui; Il Suit À Sa
Manière Le Procédé De Montaigne, De Paul-Louis Courier. Profitant De Sa
Situation Excentrique En Dehors De La Capitale, Il S'était Fait Un
Mode D'expression Libre, Franc, Pittoresque, Une Langue Moins Encore
Genevoise De Dialecte Que Véritablement _Composite_; Comme L'auteur Des
_Essais_, Il S'était Dit: «C'est Aux Paroles À Servir Et À Suivre, Et
Que Le Gascon Y Arrive, Si Le François N'y Peut Aller.» Cette Veine Lui
Est Heureuse En Mainte Page De Ses Écrits, De Ses Voyages; Il Renouvelle
Ou Crée De Bien Jolis Mots. Qui N'aimerait Chez Lui, Par Exemple, L'âne
Qui _Chardonne_, Le Gai Voyageur Qui _Tyrolise_ Aux Échos? Mais Le Goût
A Parfois À Souffrir Aussi De Certaines Duretés, De Rocailles, Pour
Ainsi Dire, Que Rachètent Bientôt Après, Comme Dans Une Marche Alpestre,
La Pureté De L'air Et La Fraîcheur. On Rencontre De Ces Duretés Ainsi
Rachetées Dans Le Charmant Récit De _Rosa Et Gertrude_. En Voulant
Conserver À M. Bernier Le Ton Exact D'un Ministre Évangélique, L'auteur
A, En Quelques Endroits, Multiplié Les Termes Familiers Aux Réformés, Et
Qui Ne Les Choquent Pas Comme Étant Tirés Des Vieilles Traductions De
La Bible Qu'ils Lisent Journellement. Cela, Pour Nous, Ne Laisse Pas
De Heurter Et De Faire Disparate En Plus D'un Lieu; Il Y Aurait Eu
Certainement Moyen, Sans Rien Altérer, De Mieux Fondre. En Nous
Permettant, Même En Ce Moment, Cette Libre Critique, Nous Avons Voulu
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 259Témoigner L'entière Sincérité De Notre Jugement Et Nous Maintenir Le
Droit De Dire Bien Haut, Comme Nous Nous Plaisons À Le Faire, Que
L'histoire De _Rosa Et Gertrude_ Est Une Des Lectures Les Plus Douces,
Les Plus Attachantes Et Les Plus Saines Qui Se Puissent Goûter.
1er Octobre 1846.
Mort De M. Vinet[301]
Le Canton De Vaud Et La Suisse Française Viennent De Perdre Leur
Écrivain Le Plus Distingué, L'un De Ceux Qui Faisaient Le Plus D'honneur
À Notre Littérature. M. Alexandre Vinet Est Mort Le 4 Mai (1847) À
Clarens; Il N'avait Guère Que Cinquante Ans. Profondément Estimé En
France De Tous Ceux Qui Avaient Lu Quelques-Uns De Ses Morceaux De
Morale Et De Critique Dans Lesquels Une Pensée Si Forte Et Si Fine Se
Revêtait D'un Style Ingénieux Et Savant, Il Laisse Un Vide Bien Plus
Grand Que La Place Même Qu'il Occupait, Et Il Serait Impossible De
Donner Idée De La Nature D'une Telle Perte À Quiconque Ne L'a Pas Vu
Au Sein De Ce Monde Un Peu Extérieur À La France, Mais Si Étendu Et Si
Vivant, Dont Il Était L'une Des Lumières. En Allemagne, En Angleterre,
En Écosse, M. Vinet Était Connu, Consulté; Le Protestantisme Dans Ses
Différentes Formes, Et À Proportion Que La Forme Y Offusquait Moins
L'esprit, Le Vénérait Comme Un Des Maîtres Et Des Directeurs Les Plus
Consommés Dans La Science Et Dans La Pratique Évangéliques. Ce N'était
Pourtant Pas Un Théologien Que M. Vinet. Il N'avait Rien De Ce Que Ce
Titre Fait D'abord Supposer, Rien Surtout De Dogmatique; Et C'est En
Moraliste Principalement, C'est Par Les Voies Pratiques Du Coeur Qu'il
Avait Approfondi La Foi. Le Plus Modeste, Le Plus Humble Des Hommes,
Il Offrait En Lui Cette Union Si Rare D'une Expérience Clairvoyante
Et Précise, Et D'une Naïveté D'impressions, D'une Sorte D'enfance
Merveilleusement Conservée; Cela Donnait À Sa Personne, À Sa
Conversation, Un Grand Charme, Que Sa Parole Écrite Ne Rendait Pas.
Comme Orateur, Comme Professeur, Il Avait Également Une Puissance,
Une Spontanéité De Mouvement, Un Jet Qui Était Dans Sa Nature, Et Que
L'écrivain En Lui S'interdisait. Toutes Ses Qualités Précises Et Fines
Ont Passé Dans Ses Écrits, Mais Il Restera De Lui Une Plus Haute Encore
Et Plus Chère Idée À Ceux Qui L'ont Entendu. Si Nous Avions Besoin
D'une Autorité Pour Appuyer Notre Sentiment, Nous Ne Craindrions Pas
D'invoquer Celle Même De M. Le Duc De Broglie, Qui, Dans Les Séjours De
Chaque Année À Coppet, Recherchait Et Goûtait Vivement Ses Entretiens.
En Laissant De Côté Ce Qu'il A Publié Depuis Vingt Ans Sur Des Questions
Religieuses Familières À Son Pays Bien Plus Qu'au Nôtre, On Aura Encore
Dans M. Vinet Un Critique Littéraire Du Premier Ordre, Et C'est À Ce
Titre Qu'il Nous Touche Particulièrement. Il N'est Pas Un Prosateur Ni
Un Poëte De Renom Parmi Nos Contemporains Dont M. Vinet N'ait Examiné Et
Pesé Les Ouvrages; Le Plus Grand Nombre De Ses Articles Ont Paru Dans
_Le Semeur_, Signés De Simples Initiales. Chateaubriand, Mme De Staël,
Lamartine, Victor Hugo, Béranger, Plusieurs De Nos Historiens, Enfin
Presque Tous Nos Illustres Ont Tour À Tour Fixé L'attention Du Plus
Scrupuleux Et Du Plus Bienveillant Des Juges; Il A Même Consacré
Quelques-Uns De Ses Cours D'académie À Une Suite De Leçons Régulières
Sur La Littérature Française Du Xixe Siècle. L'ensemble De Ces Travaux,
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 260Formerait L'ouvrage Le Plus Ingénieux Et Le Plus Complet Sur Ce
Sujet Délicat. La Distance Où Il Vivait Du Monde De Paris Aidait
Et Enhardissait M. Vinet Dans Son Rôle De Juge; Il Ne Connaissait
Personnellement Aucun De Ceux Dont Il Avait À Parler; Leurs Livres Seuls
Lui Arrivaient, Et Il En Tirait Ses Conclusions Jusqu'au Bout Avec
Sagacité, Avec Discrétion, Et En Penchant Plutôt, Dans Le Doute, Pour
L'indulgence. Indulgence Même N'est Pas Ici Le Vrai Mot, Et C'est
Charité Qu'il Faudrait Dire. Oui, Il Y Avait En Ce Temps-Ci Un Critique
Sagace, Précis, Clairvoyant, Et, Quand Il Le Fallait, Sévère, Qui
Obéissait En Tous Ses Mouvements À Un Esprit Chrétien De Charité. Il En
Est Résulté À De Certains Moments, Sous Sa Plume, Des Pages Pleines De
Pathétique Et D'effusion.
Mais Ce N'était Pas Aux Contemporains Seulement Que M. Vinet Réservait
L'application De Sa Haute Faculté Critique. Nos Moralistes, Nos
Sermonnaires, Ont Exercé Plus D'une Fois Son Analyse. Montaigne, La
Rochefoucauld, La Bruyère, Bourdaloue, Lui Ont Fourni Le Sujet De
Considérations Neuves Et Pénétrantes. Pascal Surtout Était Son Auteur De
Prédilection Et D'étude; Les Publications Récentes Qui Ont Réveillé La
Curiosité Autour De Ce Grand Nom Avaient Été Pour M. Vinet Une Occasion
Naturelle De Développer Ses Propres Vues, Et D'exposer Dans Pascal
L'homme Et Le Chrétien. On N'a Rien Écrit Sur Ce Sujet De Plus
Intimement Vrai Et De Plus Justement Senti. La Totalité Des Articles
De M. Vinet Sur Pascal, Si On Les Réunissait Dans Un Petit Volume,
Présenterait, Selon Moi, Les Conclusions Les Plus Exactes Auxquelles On
Puisse Atteindre Sur Cette Grande Nature Tant Controversée. Au Reste, Si
M. Vinet Comprenait Si Bien Pascal, Il Ne Sentait Pas Moins Vivement
Les Esprits D'une Autre Famille, Et Il Y Eut Un Jour Où Lui, L'un Des
Pasteurs Du Christianisme Réformé, Il Songea À Écrire L'histoire De
Saint François De Sales. Et C'était Le Même Homme Qui, Dans La _Revue
Suisse_, Laissait Échapper Les Pages Les Plus Aimables Et Les Plus
Fraîches Sur _Robinson Crusoé_.
Les Dernières Années De M. Vinet Ont Été Remplies De Peines Sensibles,
Et Il Est À Croire Que Sa Vie En A Été Abrégée. On Ne Sait Pas Assez En
France Qu'il Y A Eu En Février 1845, Dans Le Petit Canton De Vaud, Une
Révolution Du Genre De Celle Dont Genève S'est Vue Le Théâtre En Octobre
1846, Mais Une Révolution Plus Radicale Et Sans Aucun Contre-Poids.
Ce Petit Canton Heureux Et Florissant, Qui Depuis Quinze Ans Était Un
Modèle D'ordre, De Bien-Être, De Culture Intellectuelle Et
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